ULTIMES COMMENTAIRES SUR LE SOIXANTIÈME FESTIVAL DE SPA.

Ce samedi 19 août, accompagné cette fois par l’initiateur de ce blog, nous nous sommes rendus à Spa afin de participer à la soirée anniversaire (le soixantième) du Festival, soirée basée sur un spectacle présenté par le directeur Axel de Booseré. Nous ignorons si les deux représentations à 18 heures 30’ et 20 heures 30’ étaient identiques mais nous voudrions dans cet article apprécier non seulement cette soirée mais aussi faire un bilan partiel de celles qui ont constitué ce Festival et enfin donner un avis sur les perspectives possibles de cette importante manifestation culturelle des étés wallons.

LA SOIREE ANNIVERSAIRE.

Assez décevante. Alors que nous espérions rencontrer nombre d’anciens du Festival, deux seulement montèrent sur scène. D’abord un inoxydable aristocrate aux origines russes, géorgiennes et estoniennes, né en Pologne il y a 76 ans, acteur multiple mais toujours d’une qualité professionnelle exceptionnelle et, en outre, docteur en droit et délégué syndical F.G.T.B. des comédiens. Alexandre von Sivers salua chaleureusement un spectateur caché dans la salle : Jean-Pierre Dopagne auteur de L’enseigneur qu’il joua pendant six saisons consécutives et qui fut ensuite repris sous le titre de Prof  par Jean Piat, Sociétaire de la Comédie française décédé l’an dernier à 94 ans.

Ensuite Geneviève Damas, actrice, metteuse en scène et écrivaine s’exprima très longuement mais eut le mérite de rendre plusieurs hommages chaleureux à Armand Delcampe qui a eu 80 ans ce 11 août (jour où – à ma connaissance -personne ne parla de lui pendant les six spectacles et la lecture programmés au Royal Festival ce dimanche-là) qui dirigea le Festival pendant 20 ans (1998-2018).  Il constitua tout au long des soixante ans de cette organisation, le trio majeur pour celle-ci avec Jacques Huisman (28 ans de responsabilités spadoises de 1959 à 1987, décédé à 91 ans) et avec aussi Joseph Houssa Bourgmestre de Spa pendant 35 ans, de 1983 à 2018, et qui deviendra nonagénaire le 12 avril prochain.

Quant aux quelques documents d’archives et brèves séquences audiovisuelles, ils ne constituaient pas un témoignage aussi intéressant que les 120 pages du livre de Philip Tirard davantage illustré : FESTIVAL DE THEATRE SPA 50 ANS 1959-2009. Le journaliste de la Libre Belgique écrivait par exemple page 12 : On a recruté aussi des « délégués » locaux chargés de faire connaître les pièces et de vendre des tickets. Certains d’entre eux comme Raymond Bisschops puis son fils André et son épouse Françoise (…) contribueront pendant un demi-siècle à la bonne marche de la manifestation estivale. Samedi Françoise et André étaient, par hasard, nos voisins mais n’avaient pas été interrogés, Urbain Ortmans confirmant ses priorités verviétoises. Si, pendant le spectacle anniversaire, les intermèdes musicaux furent agréables et de bonne qualité (grâce en particulier au couple de chanteurs Fabian Finkels et Isadora de Booseré et au saxophoniste Ferdinand Lemoine), par contre la trop longue prestation chorégraphique de Jonas Leclere et Fabienne Donnio était lassante et inutile.

CONTRE LA SUPPRESSION.

Si lors d’un tel anniversaire on évoque le nombre de spectateurs ou de créations, par contre il est impoli de parler des responsabilités politiques et financières. En 60 ans, le Festival a connu 26 Ministres de la Culture (dont un deux fois, feu Philippe Moureaux). Ne remontons pas à Pierre Harmel en 1958 mais venons-en de suite au XXIème siècle. En cinq ans (2000-2004) cinq Ministres wallons se succédèrent: les Hutois Robert Collignon et Pierre Hazette puis les Hennuyers Richard Miller, Daniel Ducarme et Olivier Chastel, le premier de ce trio établissant d’intéressants contrats-programmes. Les 20 % de Bruxellois parmi les députés du Parlement francophone obtinrent alors pendant treize ans les responsabilités de Ministre de la Culture attribuées aux Bruxelloises Fadila Laanan (2004 -2014) et Joëlle Milquet (2014-2016). Celle-ci exaspérée par la résistance d’Armand Delcampe suivi par Joseph Houssa alla jusqu’à préconiser la suppression du Festival. Heureusement pour celui-ci, les comportements litigieux de Madame Milquet obligèrent celle-ci à démissionner. Elle fut remplacée par une spadoise d’origine qui malgré les mauvais conseils des Bruxellois de son cabinet sauva le Festival en lui accordant un nouveau contrat programme alors que cette ministre parachutée liégeoise refusait ce contrat pour l’Arlequin à la grande et juste colère de Jean-Pierre Grafé et Robert-Armand Planchar,  trop tôt disparus.

LA WALLONIE BAFOUÉE.

Plus fondamentalement, ce qui est passé sous silence c’est la réalité des chiffres. Jusqu’à quand les 75 parlementaires wallons  qui forment 80% du Parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles  admettront-ils d’être roulés dans la farine par l’establishment centralisateur de la capitale de notre communauté ? Alors que les accords Dehousse – Persoons de 1977-78, prévoyaient  25 % à Bruxelles des subventions culturelles francophones localisables et 75% pour la Wallonie, on en arrive aujourd’hui presqu’à l’inverse: plus de 70% à Bruxelles dans un domaine que j’ai étudié: le théâtre pour adultes (secteur des arts de la scène).

Pour rappel: cadre supérieur d’institutions financières, le juriste François Persoons devint député P.S.C. en 1968 puis F.D.F. de 1971 à 1981. Comme Bruxellois secrétaire d’Etat à la Culture française, il négocia avec le Wallon Jean-Maurice Dehousse, Ministre de la Culture française au sein du gouvernement fédéral (1977-79). Compte tenu du fait que, d’une part,  les Bruxellois représentent entre 20 et 25 % des francophones du Royaume et, d’autre part, qu’à l’exception du Musée de l’Afrique centrale et alors du Jardin botanique de Meise, les nombreuses autres institutions culturelles publiques restées fédérales  (le Théâtre Royal – Opéra et orchestre – de la Monnaie, le Palais des Beaux-Arts, l’Orchestre National de Belgique , les Musées royaux d’Art et d’Histoire (au Cinquantenaire), des Beaux-Arts (art ancien et art moderne), de  l’Armée et d’histoire militaire, la Bibliothèque royale et les Archives générales, les Instituts royaux des sciences naturelles, du patrimoine artistique et de bien d’autres domaines scientifiques  etc…) servent beaucoup plus Bruxelles où elles sont établies que les autres régions du pays. Les Bruxellois eux-mêmes reconnaissaient alors que l’octroi du quart des subventions culturelles francophones à Bruxelles était généreux. Mais ces accords sont aujourd’hui clairement bafoués et les élus wallons sont d’autant plus facilement cocus et contents qu’ils ignorent tout des engagements de hier. La Ministre Gréoli en partance a écouté les sirènes bruxelloises de son cabinet pour ne tenir aucun compte de ce qui précède. QUOUSQUE TANDEM ABUTERE CATILINA PATIENTIA NOSTRA ? Cette question de Cicéron est simple à traduire et il importerait de lui donner des suites après l’avoir adaptée à nos réalités. Un très haut responsable expérimenté de la Fédération Wallonie Bruxelles (que par correction je ne citerai pas car la diffusion de sa réaction n’était nullement prévue en étant nominative) m’écrit : Ton analyse est – comme à chaque fois- très  exacte et crois-moi  la résistance est réelle dans le chef de certains dont je suis mais le front conservateur en face est bien organisé et soutenu. Mais encore ? Pour ma part je ne crois pas à de miraculeuses évolutions budgétaires et je suis persuadé que la seule solution réside dans la régionalisation de la culture comme de l’enseignement et des (avec s comme le soulignait Urbain Destrée : de toutes les) compétences communautaires.

UN BILAN EN DEMI-TEINTE.

Justine Donnay responsable de la communication du Festival m’adresse ce mardi 20 août un communiqué relatif au bilan 2019. J’en résumerai l’essentiel en une seule longue phrase : Plus de 10.500 places ont été occupées lors de 29 spectacles (dont neuf sans texte donc plus accessibles aux non-francophones) assumés en douze jours (du 7 au 18 août 2019) par quelque 180 artistes et techniciens.

Mon appréciation suite aux neuf spectacles que j’ai vus lors d’une demi-douzaine de déplacements à Spa et suite aux échos que j’ai entendus s’avère assez réservée. Pourtant je garderai de ce Festival le meilleur souvenir grâce à ma soirée du 15 Août et à l’interprétation enthousiasmante de Bruno Vanden Broecke du monologue écrit par l’auteur de l’essai Congo. Une histoire qui m’avait passionné. Le ton juste, naturel et subtilement nuancé de Para a achevé de me convaincre que les multiples talents de David Van Reybrouck (la photo d’en-tête) font de lui au XXIème siècle une personnalité culturelle de la taille au siècle dernier de Georges Simenon (sans parler du Prix Nobel bruxellois Maurice Maeterlinck ni de sa vie des fourmis). J’espère que sera confirmée la rumeur selon laquelle le premier monologue écrit par Van Reybrouck et interprété par Vanden Broecke Mission sera repris en français en 2021. 

Para restera dans mes meilleurs souvenirs théâtraux avec notamment (pour n’en citer que trois) Meurtre dans la Cathédrale de T.S. Eliot par Jean Vilar et Georges Wilson dans la cour d’honneur du Palais des Papes en Avignon lors du Festival 1957 du Théâtre National Populaire et deux chefs d’œuvre joués à Liège au Théâtre Royal : La Cuisine d’Arnold Wesker interprétée par le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine au Xème Festival du Jeune Théâtre le 7 octobre 1967 et la comédie-ballet en cinq actes de Molière et Lully co-produite par Jean-Louis Grinda et José Brouwers en octobre 2006 pour le cinquantième anniversaire du Théâtre Arlequin.

Quant au reste, je me suis bien amusé en allant voir et écouter la première représentation du Festival Une vie sur mesure par le comédien-batteur Pierre Martin. J’ai recueilli des appréciations positives au sujet d’Évidences inconnues et de LUCA. Parc était moyen. Aucun des autres spectacles ne m’a convaincu : ni l’inaudible Tchaika d’après La Mouette de Tchékov, ni la pantalonnade de Bouvier et Devos Slips inside, ni non plus Strach a fear song, Fidelis fortibus et moins encore Bêtes de foire.

PERSPECTIVES.

Les spectacles sans texte ne constituèrent donc pas du tout ma tasse de thé. À la place d’Axel de Booseré (que je n’ai ni l’envie, ni l’âge de remplacer) j’envisagerais (si pas pour le prochain Festival de Spa du 5 au 16 Août 2020, mais pour le suivant) de créer deux volets au Festival : un pour le théâtre, le second pour les autres arts de la scène. Pour le premier volet, en tenant compte des productions annoncées ici ou là, j’essayerais de déterminer un thème (il y en a des centaines possibles) pour renforcer la cohérence et augmenter l’intérêt de la programmation ce thème pouvant séduire les étudiants en art dramatique de nos Conservatoires royaux et certaines troupes ou comédiens. Exemple : du Prince dont la Ville est un enfant de Montherlant créé à Liège par Les Compagnons de Saint-Lambert à l’Antigone de Jean Anouilh en passant par d’autres œuvres de la moitié du XXème siècle comme l’adaptation scénique d’un film de Sacha Guitry Le diable boiteux on pourrait illustrer l’état d’esprit des conservateurs de l’époque face aux progressistes notamment brechtiens. 

À PROPOS DES SPECTACLES SANS TEXTE.

Pour les autres arts de la scène un effort d’information important pourrait être développé notamment avec la Fédération provinciale et les offices locaux du tourisme en direction des Flamands, des Néerlandais, des Allemands, des Anglais etc. Justine Donnay  nous écrit : Une communication a bien été mise en place à destination du public non-francophone. En effet, les 9 spectacles concernés ont été traduits sur notre site internet en anglais et en néerlandais via l’onglet I DON’T SPEAK FRENCH. Et un tract d’information en anglais a été déposé dans tous les lieux touristiques de la région ainsi que dans tous les établissements HORECA, gîtes, chambres d’hôtes etc. Par ailleurs, une collaboration est bien entendu établie avec l’Office du Tourisme de Spa. Merci. Nous avons déjà comptabilisé cette édition et la précédente pas mal de spectateurs étrangers, touristes de passages etc. La suite est en développement.Il y a encore énormément de travail à faire à ce niveau-là mais nous y travaillons dans la mesure de nos moyens humains et financiers. Cette information nous paraît positive  tout en ignorant si l’anglais doit l’emporter sur le néerlandais chez les touristes spadois.

Il me reste à remercier celui qui m’édite, celles et ceux qui me lisent ainsi que les administrateurs du Festival au premier rang desquels Joseph Houssa. Avec Axel de Booseré, Justine Donnay et les autres membres de l’équipe spadoise qui (et heureusement pour moi) pensent avec Pierre Augustin Caron de Beaumarchais : Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur.

Jean-Marie ROBERTI

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