
Ce dimanche 22, à 18 h, tant dans le Royaume de Belgique qu’en République française et en bien d’autres pays, tous les habitants – ou quasi tous – vont avoir les yeux rivés sur les écrans, petits ou grands, de la TV. À la même heure, soit 13h, à Rio de Janeiro, dans le stade mythique Macarena, notre Reine Mathilde en compagnie de son mari va regarder le match au cours duquel les bons Diables Rouges de Marc Wilmots (ancien sénateur MR) vont s’efforcer de battre les joueurs russes du méchant Vladimir Poutine.
L’hystérie qui entoure la deuxième Mundial se déroulant au Brésil – le premier s’y est tenu du 24 juin au 16 juillet 1950 en phase finale de la Question royale en Belgique – mérite d’être contée car elle met en cause deux Liégeois et un Brésilien d’origine belge. Un livre d’Antoine Dumini et François Ruffin Comment ils nous ont volé le football (1) narre cette aventure dont nous vous présentons quelques extraits.
« …en 1990, lui joue au FC Liège et souhaite partir à Dunkerque, en deuxième division. Pas franchement le transfert du siècle. Mais son club s’y oppose. Le footballeur attaque alors devant la Cour de justice des communautés européennes. Cinq ans plus tard, le 15 décembre 1995, les juges condamnent la réglementation de l’UEFA comme « entravant les principes de libre circulation à l’intérieur de l’espace communautaire »… »
Son avocat liégeois, maître Luc Misson dont la réputation internationale est désormais acquise, a justement argumenté pour faire triompher l’idéal de Jean-Marc Bosman « Je voulais la libre circulation des joueurs en Europe. Le football est une activité́ économique et pas une exception sportive comme l’UEFA et la Fifa se plaisent à le dire. Ce que j’ai offert avec cet arrêt c’est du travail pour tout le monde ».
« L’Europe fait alors sauter une barrière protectionniste : les clubs peuvent, désormais, recruter autant de joueurs étrangers qu’ils le souhaitent. À condition qu’ils soient originaires d’un pays de la CEE. Même cette ultime restriction est contournée avec des procédures de double nationalisation, ou de lointaines ascendances nationales, ou des accords bilatéraux.(…) Sepp Blatter avait beau déclarer, en juin 1999, que « le football doit revenir à la situation antérieure à l’arrêt Bosman », aucun signe de changement à l’horizon.
Tout ça parce qu’un Belge rêvait de vivre à Dunkerque. »
« (…) Depuis l’arrivée de João Havelange à la tête de la Fifa, lui qui fut, pour la libéralisation du ballon rond, l’équivalent d’une Thatcher ou d’un Reagan… (…) La Fifa adapte le football à la télé, prête à tout pour satisfaire les chaînes. Lors du Mondial 1986 au Mexique les joueurs, et à leur tête Maradona, se plaignent : les matches se jouent à midi sous un soleil de plomb. Le goal allemand, Harald Schumacher raconte : Je transpire. J’ai la gorge sèche. L’herbe est comme de la crotte sèche : dure, étrange et hostile. Le soleil tombe à pic sur le stade et éclate sur nos têtes. Nous n’avons pas d’ombres. Il paraît que c’est bon pour la télévision. Avec le décalage horaire, midi à Mexico, c’est le prime time en Europe. « Qu’ils jouent et qu’ils la ferment », ordonne João Havelange, le président de la Fifa. Qui encaisse les gros chèques : les droits TV pour les Coupes du Monde flambent, de 30,5 millions d’euros en 1986, ils atteignent 907,8 millions en 2002 et 2 100 millions en 2010… Soit une hausse d’environ 6285 % en moins de quinze ans. »
« (…) L’Afrique est un vivier de joueurs. C’est ici que se trouvent les futurs champions des clubs européens. » (2) » Comme n’importe quelle entreprise, l’industrie du football sait à l’occasion pratiquer la délocalisation du recrutement. « Car produire un footballeur coûte cher : il faut le nourrir, le loger, l’entraîner, pendant des années, un coût moyen de formation évalué à 114 619 € par an et par joueur, d’après un rapport du Sénat (3). Surtout, quel taux de déchets ! »
Les prochaines Coupe du Monde de football vont avoir lieu en Russie en 2018 et au Qatar en 2022. Ce qui réjouit l’ancien journaliste Jérôme Valcke devenu secrétaire général de la Fifa. Comme le précise le livre Comment ils nous ont volé le football : « Un moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde, déclare-t-il ainsi. Quand on a un homme fort à la tête d’un État qui peut décider, comme pourra peut-être le faire Poutine en 2018, c’est plus facile pour nous les organisateurs qu’avec un pays comme l’Allemagne où il faut négocier à plusieurs niveaux. »
(1) Comment ils nous ont volé́ le football, de Antoine Dumini et François Ruffin, Fakir Éditions, 120 pages, 6 euros (+2€ de frais de port)
(2) En 1957, le club liégeois du Standard acquiert le premier joueur noir en provenance du Congo belge, Paul Bonga-Bonga sur proposition d’un journaliste sportif. Dans un premier temps, les supporters le surnomment Blanchette puis rapidement Bopaul.
(3) Rapport d’information n°484 (2013-2014) du 29 avril 2014 – par M. Stéphane Mazars, fait au nom de la Mission commune d’information sur le professionnel et les collectivités territoriales.