La Biographie nationale consacre deux notices aux frères Van den Boorn, l’un pianiste, compositeur et musicographe, l’autre Jean, pianiste, compositeur. En revanche, pas la moindre notice sur leur fils et neveu, Charles dont la carrière en mérite bien une . Heureusement, la trilogie de Julien Moës, Des Ailes pour l’Éternité comble cette lacune.
Dans le troisième tome (1), Charles Van den Born – un o s’est évaporé dans les registres de l’état-civil – est au bout de sa carrière de coureur cycliste. Pas plus tard que le 19 septembre 1909, au Grand Prix Robert Protin, disputé à Liège, il a été battu par Gabriel Poulain, son cadet de dix ans. Fin août, au resto du rapide Bruxelles-Paris, il fait la connaissance de Henry Farman, ancien coureur cycliste, peintre talentueux, reconverti dans l’aviation. Celui-ci l’invite à Mourmelon-le-Grand, au camp de Châlons. Vous prendrez contact avec les très rares premiers aviateurs, vous verrez de près les appareils, vous ferez avec moi un petit vol comme passager ; vous apprécierez ce que c’est. Moins d’une semaine plus tard, Charles Van den Born est à Mourmelon. Il apprécie tellement l’endroit qu’il achète son premier avion, un Farman III, devient pilote, exécute des acrobaties folles lors de meetings richement dotés tels ceux de Stockel, Rouen, Florence, Bordeaux, etc. Meetings rassemblant des dizaines, voire des centaines de millier de spectateurs parmi lesquels le Roi Albert, le Président Fallières, Victor-Emmanuel III.
Il prodigue quantité de baptêmes de l’air dont le plus mémorable est celui de la comtesse Montretout. En 1910, il est le professeur (on ne disait « moniteur » alors) de la plupart des premiers aviateurs de Farman dont les cinq premiers pilotes de l’armée française. Parmi eux, le lieutenant Albert Féquant qui, le 9 juin 1910, marque les débuts de l’aviation militaire française pionnière. Il forme aussi de nombreux pilotes belges dont le Liégeois Jules de Lamine. La plupart participent à la guerre 14-18 dans la Compagnie des Aviateurs instituée par le Roi Albert le 16 avril 1913. La couverture de l’ouvrage de Julien Moës montre Charles Van den Born, en tenue militaire, en compagnie, en 1915, d’un autre pilote, Victor Boin champion olympique aux Jeux de Londres et de Stockholm.
Après avoir participé en septembre 1910 à la Grande Semaine de l’Aviation à Bordeaux, Charles Van den Born, sur un coup de tête auquel se mêle le hasard embarque à destination de Singapour. Il est accompagné de son épouse et son mécano, Lucien Cotroux ayant dans ses bagages, quatorze caisses contenant un biplan de sa conception – un Farman Wanda. Démonté, il peut être assemblé rapidement sans réglage supplémentaire, en un laps de temps très court. La traversée est longue et, à bord, l’épouse du Gouverneur Général de l’Indochine le convainc de se rendre à Saïgon à l’issue de l’escale singapourienne. L’accueil par le seul homme habilité à Singapour pour donner l’autorisation de voler a été glacial au point que Van den Born n’a qu’une hâte, gagner Saïgon. Ce 15 décembre 1910, plus de cent mille personnes assistent sur l’hippodrome de Phu Tho au premier vol d’un avion sur le sol asiatique.
1911 est une année de premier vol d’un avion sur le sol du Royaume de Siam (le 30 janvier), sur le sol de la colonie britannique de Hong-Kong (le 18 mars) au-dessus du village de Sha Tin, sur le sol de l’empire chinois (le 10 avril) à Sha Ho. Ce meeting à Canton tourne à l’émeute révolutionnaire, Van den Born – le Diable étranger – incendie la carcasse de son Wanda et revient à Liège via le Transsibérien. Patron de l’aéroport de Liège, il participe, en juin 1911, au Circuit d’Europe qui, en neuf étapes, relie sept villes dont Paris, Londres, Bruxelles.
Incontestablement, Charles van Born fait beaucoup pour inscrire Liège au fronton des villes connues au plan international. Et pas uniquement au début du XXème siècle. Depuis 1998, le hall de l’aéroport international de Hong-Kong – le 8ème au monde – est orné de son avion Wanda, reconstitution à l’identique y compris le moteur. Chacun.e des 72 665 078 passager.e.s apprend que c’est l’avion du Liégeois Charles van Born !
Bien d’autres péripéties jalonnent sa vie que racontent Des Ailes pour l’Éternité. Dans les années 20, il contribue notamment au développement de l’aviation dans les colonies françaises de l’Asie. Puis s’installe comme planteur à Thua Bien, obtient en 1936 la nationalité française, en 1945, sa propriété est incendiée par les Japonais qui l’emprisonnent et est secouru par Les Vieilles Tiges – association de pionniers de l’aviation – qui l’aiguille vers la Société d’Entraide de la Légion d’Honneur. Il a été reçu Chevalier de cet ordre en 1930 à titre étranger en sa qualité de directeur technique d’une société commerciale de Saïgon. Vingt ans plus tard, il est reçu à titre français, pour la deuxième fois, au même grade de Chevalier dans cet ordre créé par Napoléon. Une lettre du général Chassin, commandant supérieur des Écoles de l’Air au Grand Chancelier proposant qu’il soit élevé au grade d’Officier de la Légion d’Honneur se heurte à la règle qu’étant Chevalier à titre étranger il ne peut faire l’objet d’une promotion à titre français.
La Ville de Liège n’a point encore dédié une rue ou un boulevard à son enfant de Hocheporte, né dans l’impasse Lacroix devenue, depuis 1945, la rue du Général Modard. Il est permis d’espérer qu’elle le fasse durant la prochaine mandature. Charles van Born l’a bien mérité, homme d’une jeunesse extraordinaire, d’un optimisme indestructible allié à un détachement serein !
(1) Des Ailes pour l’Éternité – Julien Moës, auteur éditeur – 242 pages – 12 € – disponible notamment chez Pax, à Livres aux Trésors, chez l’auteur julien@gmail.com