Moins de trois ans avant la Révolution française, en Pologne, chez les Laczynski, une famille noble, naît Marie. Elle a pour précepteur un Français, Nicolas Chopin, futur papa de Frédéric avant d’être envoyée parfaire son éducation au couvent Notre-Dame de l’Assomption à Varsovie. Marie est intelligente et studieuse, avec une douceur de caractère qui l’a fait aimer par tous ici. De plus, elle est d’une grande beauté.
Les propositions de mariage ne manquent pas. Parmi ceux qui lui font la cour, il y a un jeune homme beau, riche et charmant qui lui a plu tout de suite. Il a pourtant un gros défaut : il est russe et, de plus, appartient à la famille du terrible feld-maréchal Souvorov, ennemi juré de la Pologne que ses puissants voisins, la Russie, la Prusse et l’Autriche, s’étaient partagée. La famille de Marie s’oppose et lui impose le mariage, fin 1804, avec le comte Anastazy Colonna Walewski, ancien chambellan du dernier Roi de Pologne. Point beau, riche de propriétés obérées et vieux – 72 ans, elle 18 -, on comprend qu’avant les noces, elle avait pleuré longtemps et a continué à sangloter pendant la cérémonie.
En ayant terminé avec la campagne de Prusse, Napoléon entame la campagne de Pologne. Il arrive à Varsovie, le 18 décembre 1806, en libérateur. Des milliers de Polonais, les Légions polonaises de Dombrowski sont engagées depuis une dizaine d’années dans les armées françaises. Fin décembre 1806, dans un climat de Napoléonmania, l’empereur remarque, dans la foule, la jeune comtesse Walewska, lui parle. Le 1er janvier 1807, il lui écrit Marie, ma douce Marie, ma première pensée est pour toi, mon premier désir est de te revoir. Tu reviendras, n’est-ce pas ? Tu me l’as promis. Sinon l’aigle volerait vers toi. (…) Daigne donc accepter ce bouquet : qu’il devienne un lien mystérieux qui établisse entre nous un rapport secret au milieu de la foule qui nous environne. Exposés aux regards de la multitude, nous pourrons nous entendre. Quand ma main pressera mon cœur, tu sauras qu’il est tout occupé de toi et, pour répondre, tu presseras le bouquet ! Aime-moi, ma gentille Marie, et que ta main ne quitte jamais ton bouquet.
Le 7 janvier 1807, elle participe au bal de carnaval dont La Gazette de Varsovie rend compte : Sa majesté l’Empereur a assisté à un bal chez le ministre des relations extérieures, le Prince de Bénévent, au cours duquel il a invité à une contredanse la femme du chambellan Anastase Walewski. Des patriotes polonais avec l’assentiment du mari imaginent que Marie est la personne la mieux placée pour convaincre Napoléon de ressusciter le Royaume de Pologne. C’est la période épouse polonaise qui voit l’Empereur et Marie filer le parfait amour au Château royal de Varsovie, au château de Finckenstein, à Paris dans le IXème arrondissement, au Palais impérial de Schönbrunn. Napoléon ne ressuscite pas le Royaume mais par l’accord de Tilsitt, en juillet 1807, crée le Duché de Varsovie où est en vigueur le Code Napoléon.
Enceinte de Napoléon à Schönbrunn, Marie accouche chez son mari, le vendredi 4 mai 1810 d’Alexandre. L’Empereur est averti de l’heureux événement à Anvers. Soucieux de l’avenir de son fils, il comble la mère de rentes et propriétés diverses. Les générosités de l’Empereur se font moins sur sa cassette personnelle que sur les biens de l’Empire. Marie est devenue riche, surtout grâce aux donations que Napoléon a faites au petit Alexandre. Mais elle risque de ne plus l’être si son mari endetté se met à rembourser. Aussi Marie demande le divorce le 12 juillet 1812 et l’obtient … le 24 août, une rapidité digne de Reno (Nevada USA) !
Catholique, Marie doit attendre la mort de son ex – le 20 janvier 1815 – avant de convoler en justes noces avec le bel Philippe-Auguste, comte d’Ornano qu’elle a connu à Varsovie en 1807. Jeune, beau, très chic, d’une famille corse liée à la famille Bonaparte, protégé de Laetitia, la mère de Napoléon, ce lieutenant-général participe aux Cent-Jours de Napoléon. Ce qui lui vaut d’être banni de France par la Seconde Restauration. Il se réfugie dans le Royaume des Pays-Bas et épouse, le 7 septembre 1816, Marie en la collégiale Sainte-Gudule de Bruxelles. En compagnie des enfants de Marie, Antoine et Alexandre, les époux viennent s’établir à Liège d’abord rue Sœurs-de-Hasque puis rue de Fragnée, n° 876, quartier du Sud.
Dans la dernière livraison du Bulletin de la Société royale LE VIEUX-LIÈGE (1), Juliette Noël relate les endroits où a vécu à Liège Marie Walewska. C’est de la légende de son habitation rue Mandeville à la réalité. S’appuyant essentiellement sur des documents des Archives de l’État et de Ville de Liège, Juliette Noël retrace notamment l’endroit où est situé le 876, rue Fragnée. Il faut savoir que la numérotation, à l’époque, est continue. Il n’était pas question de donner des numéros pairs ou impairs selon le côté où on se trouvait. Il appert d’un document passé en l’étude du notaire royal Philippe Parmentier que le propriétaire Nicolas Bernimolin donne en location pour une durée d’un an, expirant le quinze mars 1818, l’immeuble et les terrains l’entourant. C’est alors un véritable domaine. Il se dénomme « Sans souci ». Situé à hauteur du numéro 20 de l’actuelle rue du Vieux-Mayeur qui, en ce temps-là, s’appelle ruelle du Vieux-Mayeur, l’immeuble loué a une longueur d’environ 22 mètres avoisinant des jardins de plus d’un hectare.
Dans la partie finale de son article consacré à l’immeuble occupé par Marie Walewska à Liège, Juliette Noël s’attaque à une légende qui situe cette habitation rue Mandeville. Tâche ardue car l’auteur de la légende n’est autre que Théodore Gobert. Celui-ci a publié des notices sur les rues de Liége en sa période de journaliste à La Gazette de Liège, notices rassemblées en 1891 en quatre volumes éponymes. Il n’est pas question dans cette première édition de Marie Walewska. Vient la seconde édition, en 1926, où Gobert écrit : Située au pied de la colline, cette demeure caractéristique étendait au loin ses superbes jardins plantés d’arbres touffus, qui en faisait l’une des plus agréables résidences rurales. Ici vint s’installer, après la chute de Napoléon 1er, une dame qui, à cette époque, a beaucoup fait parler d’elle. Il s’agit de la comtesse Walewska. Gobert l’a fait mourir le 15 décembre au lieu du 11.
Juliette Noël n’a pas d’explication sur cette affirmation erronée de Gobert ; J’opine à croire qu’il a fait un amalgame avec d’autres biens (…) Quoi qu’il en soit, Gobert sera suivi par les écrivains liégeois postérieurs (…) Les écrivains non-liégeois reprendront l’information. Pour eux, naturellement, la localisation correspondait à un endroit qui leur était inconnu. Juliette Noël, une orfèvre de la précision !
Dans ses Mémoires, le comte Alexandre évoque la période liégeoise après le mariage de sa maman : Mon frère aîné, qui avait 4 ans de plus que moi, Monsieur Carité, un vieux valet de chambre nommé André et moi nous partîmes de Paris en diligence pour aller retrouver ma mère aux Eaux de Chaudfontaine près de Liège. (…) Quelques mois après, nous étions établis dans une charmante maison de campagne à la porte de Liège où ma mère mit au jour au mois de juin 1817 un gros garçon qui fut baptisé sous le nom de Rodolphe. (…) j’accompagnais aussi quelquefois mon beau-père chez un libraire de Liège nommé Desoret (NDLR lire Desoer). Là, j’entendais parler politique sans y rien comprendre, cependant j’ai retenu quelques mots de ces conversations dont plus tard j’ai compris le sens. (…) La campagne que nous habitions était à une demi-lieue de la ville. (…) Le Général Ornano ayant obtenu son rappel, ma mère partit pour Paris au mois d’octobre 1817 avec le nouveau-né qu’elle nourrissait malgré les avertissements de son accoucheur de Varsovie le célèbre Czekieski, qui lui avait prédit que si jamais elle se décidait à nourrir elle le paierait de sa vie. Peu de jours après son départ, le Général Ornano, mon frère et moi, nous nous mîmes en route pour aller la rejoindre. Nous voyagions en poste dans une bonne berline lorsqu’au milieu de la nuit près de Namur, nous versâmes dans un fossé (…) Nous arrivâmes le lendemain à Paris à trois heures du matin nous rendant dans la chambre de ma mère. Elle se réveille pour nous embrasser. Quel doux réveil dit-elle mon mari et mes enfants, ce sont là les dernières paroles. Le lendemain, son état s’aggrave au point que ses enfants ne peuvent plus la voir. Elle expire le 11 décembre à six heures du soir d’un abcès au sein dont on n’avait reconnu l’existence que trop tard pour risquer une opération et de calculs rénaux.
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