Sur la scène du Gai-Savoir, YALTA de Vladimir Volkoff.

C’est au Palais de Livadia, ancienne résidence d’été du tsar Nicolas II, à Yalta en Crimée que le maréchal Staline a convié du 4 au 11 février 1945 le président des États-Unis, Franklin D. Roosevelt et le Premier Ministre du Royaume-Uni, Winston Churchill pour déterminer l’après-guerre. Le Palais de Livadia a perdu toute sa magnificence au point que Churchill refuse d’y loger préférant résider dans une base anglaise à des dizaines de kilomètre de Yalta tandis que Roosevelt, impotent, s’en contente.

La déclaration commune, publiée simultanément à Moscou, Londres et Washington, précise notamment : « Les plans adoptés prévoient que chacune des trois puissances occupera avec ses forces armées une zone séparée en Allemagne. Il a été en outre convenu que la France serait invitée par les trois grandes puissances, si elle le désire, à occuper une zone et à faire partie de la commission de contrôle comme quatrième membre (…) Nous sommes résolus à créer avec nos alliés aussitôt que possible une organisation internationale générale pour la sauvegarde de la paix et la sécurité (…) Nous avons convenu de convoquer le 25 avril 1945, à San Francisco, une conférence des Nations  unies qui établira (…) la charte de l’organisation (…) Nous avons rédigé et signé une déclaration commune sur l’Europe libérée. Elle a la teneur suivante : « (…) Le rétablissement de l’ordre en Europe et la reconstruction de la vie économique nationale devront être réalisés par des méthodes qui permettront aux peuples libérés d’effacer les derniers vestiges du nazisme et du fascisme et de se donner les institutions démocratiques de leur propre choix… »

Les travaux de cette Conférence à Trois, présidée par Roosevelt mais dominée par Staline, ont été l’objet de discussions âpres et de retournements spectaculaires. Ainsi, le dépeçage de la Pologne au profit de l’URSS et la reconnaissance du Gouvernement polonais de Lublin au détriment du Gouvernement polonais en exil à Londres. Ainsi la rupture du Pacte de neutralité URSS-Japon de 1941 par la promesse de Staline à Roosevelt d’entrer en guerre contre le Japon nonante jours après la défaite de l’Allemagne.

En 1983, d’origine russe – son grand-père a été général du tsar et il est l’arrière-petit-neveu de Tchaïkovski – l’écrivain français Vladimir Volkoff publie Yalta.  Ce licencié de lettres classiques à la Sorbonne se fait historien. « Dans Yalta, les dialogues sont presque uniquement composés de citations, et c’est quand ils peuvent paraître les plus invraisemblables qu’ils sont le mieux authentifiés » déclare Vladimir Volkoff qui n’hésite pas à emprunter des citations d’autres Conférences internationales dont celle de Téhéran en 1943. Effectivement au Palais de Livadia à Yalta, Staline à insinué que la Manche n’était pas un obstacle pour l’Armée rouge, Roosevelt à envisagé de faire fusiller près de cinquante mille officiers allemands et Churchill s’est perdu dans des comptes d’apothicaire lors des partages d’influence.

Fin 1983, Vladimir Volkoff passe accord avec une troupe liégeoise, le Théâtre de l’Art dont le directeur est le comédien Charles Martigue pour créer Yalta à Bruxelles, en 1984. L’auteur assure la mise en scène tandis que Charles Martigue, personne à la constitution imposante est tout désigné pour le rôle de Churchill. Si le spectacle a lieu à Bruxelles, sa mise au point se déroule à Liège, une ville que Vladimir Volkoff connaît bien. En effet, il y a acquis le titre de docteur de philosophie à l’Université de Liège en soutenant une thèse d’esthétique « vers une métrique française »

La pièce Yalta est à l’affiche d’un théâtre liégeois. Trois directeurs de théâtre endossent les rôles de Staline (Roland Langevin), de Roosevelt (Serge Swysen), de Churchill (Daniel Hackier) au Théâtre du Gai-Savoir pour cinq représentations à partir du 13 mars (1).

  • Théâtre du Gai-Savoir rue de Bassenge 12 à Liège – Représentation de Yalta : 13/3 (20h30), 15/3 (15h), 20/3 (20h30), 21/3 (20h30), 22/3 (15h) – Tarif : 16€ (retraités & étudiants 14€) – Réservations : tél. 04 342 58 32, courriel gai.savoir@skynet.be

A Verviers, au Centre Touristique Laine et Mode, l’expo « Terre en Vue » fait un tabac!

À Verviers, capitale wallonne de l’eau, l’expo « Terre en Vue » se visite en une grosse heure et demi, au Centre Touristique Laine et Mode (CTLM).

Le CTLM (1) est installé dans un ancien château de l’industrie textile : la grosse demeure patronale adossée à la manufacture a le charme d’un calme urbain insolite. Au cœur de la ville, 600 mètres carrés de cour pavée et de jardin forment un havre de paix où, à la belle saison, vous dégustez une Ploquette.

Aujourd’hui, la Ploquette c’est la bière locale, mais, naguère, c’est le déchet de laine recueilli après la carbonisation. Emballé dans un cylindre de papier kraft, le déchet se mue en un échantillon que lu marchand d’ploquettes va présenter aux acquéreurs de gros volumes des laines traitées à Verviers. Les balles de laine de quelque 300 kilos chacune leur sont acheminées par route, par chemin de fer ou même par bateau.  

L’expo « Terre en vue » conçue par les équipes du CTLM est axée sur l’univers de la marine. Vous admirez des pièces splendides : cartes dressées par les géographes du XVème siècle, boussoles de la même époque, plantes exotiques ramenées des voyages des Grands Découvreurs, épices et onguents, mais vous voyez aussi des appendices moins glamour, comme les yeux factices destinés aux orbites détériorées des pirates. Vous restez songeur devant la panoplie d’armes que les corsaires et autres boucaniers affectionnent. Pris par l’ambiance, vous appareillez à bord d’une caravelle entièrement construite sur place par un « artiste freestyle » LGH. N’oubliez pas de jeter un cil aux cales…  elles sont bourrées d’or et de pierreries ! Vous échappez aux monstres marins et vous réfugiez sur l’île de la Tortue. Votre périple s’arrêtera après la chasse au Trésor … Tremblez Moussaillon !

Outre son côté franchement ludique, l’expo « Terre en Vue » a des vertus didactiques certaines. Des objets prêtés par de nombreux musées belges illustrent admirablement des thèmes tels que les invasions vikings, le commerce triangulaire, l’astronomie, la zoologie marine, la littérature maritime et bien d’autres.

En souvenir de « Terre en vue », on trouve à la billetterie du CTLM, des petits gadgets à bas coût et rigolos en plus de la Ploquette !

(1)    Centre Touristique Laine Mode – 30 rue de la Chapelle, 4800 Verviers – Tél. 087 30 79 20 – Expo « Terre en vue » : de 1 € 50 à 6 € – Visible du mardi au dimanche, de 10 à 17h, jusqu’au 31 mai 2021. L’illustration « Couloir des légendes » est une photo signée Claude Dael.

À l’Étuve, double succès : « Nos femmes » et « BOURVIL La tendresse ».

L’ostéopathe Max (John Grégoire), le médecin Paul (Pierre Meurant) et le coiffeur Simon (Antony Séminara) sont trois amis depuis des années. Leur amitié est profonde et sincère.

Si leur vie professionnelle est une réussite – Simon possède même un yacht -, leur vie sentimentale est contrastée. Paul est marié, mène une paisible existence bourgeoise avec une épouse qui l’aime et dont il est amoureux. Leur fille Pascaline entame des études de médecine à l’image de son papa. Simon est l’époux d’Estelle et tant lui qu’elle, il leur arrive de donner un léger coup de canif au contrat qui les unit. Quant à Max, un séducteur délaissé momentanément par sa dernière conquête, il est libre de recevoir ses amis pour une soirée de poker.

 Max a tout organisé pour que cette soirée de poker soit mémorable, alcool en suffisance, Gordons gin, whisky J&B, musique appropriée, des vinyles en nombre de chanteurs disparus tel Nougaro. Paul est arrivé à vingt-et-heures pile et il mêle déjà les cartes. À neuf heures cinq, Max explose contre le retard de Simon qui n’arrive qu’après dix heures. Il ingurgite gin sur gin. La soirée de poker va devenir une nuit infernale.

Grand prix du théâtre de l’Académie française en 2014 pour l’ensemble de son œuvre, l’auteur Éric Assous a respecté la règle des trois unités ; temps, lieu, action dans sa pièce Nos femmes créée au Théâtre de Paris en 2013. Les dialogues sont drôles, pertinents et les faits sont très vraisemblables.  À l’Étuve, les trois acteurs sont au mieux de leurs formes et le public applaudit spontanément certaines scènes telle celle de Max dansant un rap d’enfer. À l’Étuve, Nos femmes (1) se révèlent un succès dans un décor de Jean-Marc Rouffart.

Le succès appelant le succès, il ne fait aucun doute que le prochain spectacle Bourvil La tendresse (2) le soit également. Accompagné au piano par Éric Closquet, un quatuor constitué de Ève Brasseur, Fabrice De Grégorio, Laurent Jadin et Marie Tridetti sera les interprètes du cabaret imaginé par Philippe Dengis.

Dans quel esprit, Philippe Dengis rend-il hommage à André Raimbourg dit Bourvil disparu il y a un demi-siècle ? Bourvil nous a fait rire, mais aussi nous a émus ! Ses chansons sont immortelles même si certaines sont peu connues. À chaque fois, il nous raconte une histoire. Nous avons voulu créer un spectacle à son image et interpréter des airs tel que ‘La Tendresse » ou « Salade de fruits ». Vous souvenez-vous du « Clair de lune à Maubeuge » ou « Les crayons » ? Mais Bourvil nous a aussi secoué les zygomatiques avec « La causerie antialcoolique ». Vous vous souvenez « L’eau ferrugineuse » ? Et puis la revisite de « Je t’aime, moi non plus » de Gainsbourg dont il a fait « Ça » … un régal ! Pour ma part, j’ai adoré des textes plus tendres comme « Frédo le porteur » ou encore « Vive la mariée ».

Bourvil, La tendresse qui mieux que lui la chante ?

On peut vivre sans richesse
Presque sans le sou
Des seigneurs et des princesses
Y’en a plus beaucoup
Mais vivre sans tendresse
On ne le pourrait pas
Non, non, non, non
On ne le pourrait pas

On peut vivre sans la gloire
Qui ne prouve rien
Être inconnu dans l’histoire
Et s’en trouver bien
Mais vivre sans tendresse
Il n’en est pas question
Non, non, non, non
Il n’en est pas question

  • Nos femmes – 17, 18, 24, 25 janvier 20h15 et 19 janvier 15h30 – reservationetuve@gmail.com ou SMS 0492 56 29 10 – PAF 16/13 €
  • Bourvil La tendresse – 7, 8, 14, 15, 21, 22 février 20h15 et 16 février 15h30 –

reservationetuve@gmail.com ou SMS 0492 56 29 10 – PAF 16/13 €

Dans l’attente du tram, des nouvelles du TEC.

En réponse à une question orale de la députée wallonne Diane Nikolic en Commission Énergie Climat Mobilité, le Ministre Philippe Henry a précisé : La « tramification » de l’axe Ans-Fléron n’est pas à l’étude à ce jour. Il a ajouté : La mise en place de bus à haut niveau de service efficaces, avec des infrastructures dédiées, permet en effet d’offrir une qualité de service aux usagers s’approchant du tram avec des investissements et des coûts d’exploitation nettement inférieurs.

Le concept de bus à haut niveau de service – BHNS – est relativement récent. Il date de 2005 mais de nombreuses villes en France l’ont déjà adopté pour l’une ou l’autre ligne de leur réseau. C’est le cas notamment à Lille, Metz, Nancy, Douai, Amiens. En Wallonie, la première ville où circuleront des BHNS sera Charleroi.

En mai 2019, le gouvernement wallon a adopté le Plan urbain de mobilité de l’agglomération liégeoise qui prévoit la création de cinq axes BHNS à savoir : 1- entre la place Saint-Lambert et Fléron, 2- entre la place Saint-Lambert et Ans en passant par Saint-Nicolas et le Centre hospitalier catholique, 3- entre la gare des Guillemins et le domaine du Sart-Tilman, 4- entre la place de la République française et le domaine du Sart-Tilman par la rive droite de la Meuse, 5- entre la place de la République française et Chénée via Grétry. Le BHNS nécessite un itinéraire rationalisé lui donnant priorité aux feux tricolores et aux ronds-points.

Au 1er octobre 2019, en Wallonie, il y a 3 245 conducteurs de bus dont le plus grand nombre – 1 230 sont affectés aux lignes du TEC Liège-Verviers. De l’avis du ministre Henry, globalement, les effectifs disponibles répondent aux besoins, c’est-à-dire assurer le service et permettre aux conducteurs de prendre leurs congés. Il convient néanmoins d’y être attentif tout au long de l’année et d’apporter les ajustements nécessaires, le cas échéant ; le moindre écart en termes d’effectifs lié, par exemple, à des incapacités de travail ou à des accidents de travail pouvant entraîner des conséquences sur l’organisation du travail et la prise des congés. En ce qui concerne le recrutement, ce sont, en moyenne, 150 à 200 conducteurs de bus recrutés chaque année au sein de l’opérateur de Wallonie. Pour l’année 2020, il est prévu d’en recruter un peu plus de 200.  

En avril 2019, 206 bus hybrides étaient en service commercial sur les lignes TEC. Ils avaient déjà parcouru près de neuf millions de kilomètres, évité le rejet de 3 300 tonnes de CO2 et permis d’économiser 1 250 000 litres de carburant. Fin de cette année, 309 bus hybrides sont en circulation. Enfin, à partir d’août 2021, 45% des nouveaux bus seront des véhicules propres fonctionnant soir au gaz naturel, soit au biocarburant, soit à l’hydrogène ou l’électricité. La moitié de ces véhicules seront à émission nulle car fonctionnant à l’électricité ou à l’hydrogène.

Dernière précision bonne à savoir, ne pas céder sa place assise dans un bus aux femmes enceintes, aux personnes âgées ou moins valides est susceptible d’être puni d’une amende administrative de septante-cinq euros.

Toutânkhamon et l’égyptologue Jean Capart.

Dans sa présentation à la presse de Toutânkhamon à la découverte du pharaon oublié (1), Dimitri Laboury, maître de recherche FNRS, a évoqué incidemment le rôle de Liège dans cette exposition consacrée à la découverte par Howard Carter des premières marches du tombeau le 22 novembre 1922. À l’invitation de celui-ci et de Lord Carnarvon, financier des fouilles dans la Vallée des Rois, un professeur de l’Université de Liège, Jean Capart accompagné de la Reine Élisabeth et du Prince héritier, le duc de Brabant a participé le 18 février 1923 à l’ouverture de la chambre funéraire du Toutânkhamon, onzième pharaon de la XVIIIème dynastie.

Il faut savoir que dès la rentrée académique de 1902, il s’est ouvert à Liège un cours libre d’une nouvelle science, l’égyptologie. Dans un premier temps, ce cours libre ne donne accès à aucun diplôme. Il est confié à un chargé de cours, Jean Capart, auteur d’une thèse estudiantine sur le droit pénal égyptien ancien et qui, en 1900, s’est rendu en Égypte où il a participé à des fouilles. Premier séjour qui sera suivi de douze missions en ce pays. En 1924, le professeur Jean Capart devient président de l’Institut supérieur d’histoire et de littérature orientales de l’Université de Liège.

L’intérêt de la Reine Élisabeth pour l’égyptologie date d’un voyage en Égypte effectué adolescente en compagnie de sa marraine l’impératrice Élisabeth d’Autriche mieux connue sous le nom de Sissi. Au retour de la découverte du tombeau de Toutânkhamon, Jean Capart et la Reine Élisabeth décident la création de la Fondation égyptologique Reine Élisabeth (dénommée actuellement Association Égyptologique Reine Elisabeth). Fondation qui publie depuis 1925 la revue Chronique d’Égypte. En 1937, Jean Capart obtient la concession d’El Kab en Haute-Égypte dont Fondation égyptologique Reine Élisabeth et les Musées Royaux d’Art et d’Histoire assurent encore aujourd’hui les fouilles. Le site a été le centre du culte de la déesse Nekhet.

Avec sa longue barbe noire Jean Capart a été un personnage très connu à son époque au point que tant Edgard P. Jacobs que Hergé l’ont pris comme modèle dans leurs albums. Le professeur Hippolyte Bergamotte dans Les 7 boules de cristal et Le temple du soleil ressemble quasi trait pour trait à Jean Capart. De l’expo Tout Hergé organisée en 1991 à Welkenraedt à Toutânkhamon, René Schyns, commissaire général de l’exposition, est fidèle à Jean Capart !

  • Toutânkhamon à la découverte du pharaon oublié – Liège-Guillemins – du 14/12/2019 au 31/05/2020 – tickets en ligne www.europaexpo.be – réservation groupes et visites guidées : 04 224 49 38

« Les Nuits de Liège »: la chance d’Angelo Danubio, son accent!

Les Nuits de Liège (1), le dernier opus de José Brouwers, est davantage que le récit de la vie d’Angelo Danubio, un des créateurs de la vie nocturne liégeoise durant près d’un demi-siècle. Lorsque le papa d’Angelo et Marianne, Luigi, en décembre 1947, quitte sa femme Rosina et sa cité d’Enna en Sicile pour venir travailler dans les mines belges, il ne trouve point l’eldorado promis par le Protocole belgo-italien du 23 juin 1946. Ce Protocole prévoit l’envoi hebdomadaire de 2000 Italiens à destination des charbonnages belges en échange de 200 kilos de charbon par jour et par homme achetés par l’Italie. La Belgique s’engage notamment à procurer un logement décent aux mineurs italiens par l’intermédiaire des charbonnages, à respecter du plus possible l’habitude alimentaire des Italiens.

Les Italiens sont logés dans des baraquements en tôle, improvisés d’abord pour y enfermer des prisonniers. Le sol, c’est de la terre battue (…) Les mineurs débutants reçoivent leur lampe, leur bleu, leur casque après deux ou trois jours. Ce ne sont point des cadeaux. On retient de leur salaire le prix de cet équipement pourtant indispensable. Pour descendre dans le puits, ils empruntent un ascenseur rudimentaire ouvert sur le mur où l’eau dégouline. D’aucuns tel l’ami de Luigi qui a pourtant connu les mines de soufre en Sicile ne peuvent supporter ce premier accès à l’enfer qui sent la suie et pue la mort. L’ami de Luigi est arrêté, traité comme un délinquant, jeté en prison. Oui, pudiquement appelée centre fermé. Et puis expulsé vers la terre natale de Pirandello.

L’ami rentre à Enna en février 48 : c’est l’enfer, Rosina (…) et je ne te parle pas seulement du travail innommable mais encore de l’accueil qui est indigne. (…) Rosina s’est mise à pleurer. Luigi en être réduit à cela pour nous nourrir les enfants et moi. Il rêvait d’un travail agréable, bien payé, et il vit un cauchemar. En revanche, Luigi s’est habitué, mieux s’est adapté à ce labeur d’esclave. C’est un optimiste, un homme plein de courage, de joie de vivre. Après un an passé dans l’obscurité, il retrouve la lumière. Il revient à Enna. (…) Les économies grapillées ne lui permettent pas d’entreprendre une nouvelle vie dans sa jolie ville auprès des siens. Il s’avère qu’il n’y a qu’une solution : repartir pour la Belgique. Ce n’est que le 13 août 1951 que l’ensemble de la famille est réuni au 128 de la rue Émile Vandervelde à Glain car désormais Luigi travaille au charbonnage Patience et Beaujonc et non plus à Beringen comme en 1947.  

 Sitôt arrivé en Belgique, Angelo qui ne parle qu’italien est inscrit à la communale en première année primaire. Il passera en deuxième dès Noël, et en troisième à Pâques. À 12 ans, il termina ses primaires en tête de classe avec son ami Bruno qui deviendra ingénieur civil. Ensuite, il fait ses moyennes, il aurait souhaité poursuivre ses humanités et tenter l’entrée à l’université mais son père souhaitait qu’apprenne un métier et l’inscrivit à l’école technique du quai du Condroz.  Événement important dans la vie d’adolescent d’Angelo, sa sœur se marie. Un mariage à l’italienne impose des sacrifices. Luigi vendit la maison familiale d’Enna. (…) Il avait sa fierté. (…) Le mariage de Marianna les laisse sans un sou. Mais, dès cet instant, plus jamais, il ne voulut demander de l’argent à ses parents. Étudiant, il alterne divers jobs dont celui de travailler au resto de son cousin Dino en Bergerue.

En cours du soir, il prépare l’examen d’entrée au laboratoire de métrologie de la Fabrique Nationale. Il le réussit. Mais il a d’autres passions : la lutte gréco-romaine qu’il pratique à l’Académie liégeoise de la Sauvenière, sa salle de gymnastique et l’amour, à 17 ans, il tombe sérieusement amoureux de la femme de sa vie, Josiane a 15 ans. Il l’épouse en mars 67.

Un défi de ses collègues de la F.N. – à la foire de Liège, affronter un des champions du Sporting Palace – le fait entrer, suite à sa victoire sur Panchovilla ex-champion du Mexique, dans le monde du catch. Il participe au championnat d’Europe de lutte professionnelle et même au tournoi de catch de Francfort. Celui-ci dure une semaine et Angelo fait quotidiennement le trajet aller-retour entre la F.N. et Francfort. Son secret, le lift de l’estomac. Qu’est-ce que c’est que ça ? Angelo s’installe les pieds en hauteur sur une planche inclinée à 30 degrés, il respire très profondément et il s’endort pendant une heure. Il régénère ainsi le sang asphyxié. (…) Et il est à son poste à la F.N. une plus tard, en pleine forme. Ayant eu une promotion à la F.N., il tombe sur un petit chef qui lui déclare : Danubio, je suis allergique aux Italiens. Dites-vous que tant que je serai ici, vous resterez au bureau, sans congé de faveur pour vos petites sorties sportives. Angelo n’eut pas à réfléchir. Sa réponse fut prompte, directe, définitive : je suis aussi allergique, Monsieur, mais moi, c’est aux poils de chat. Il existe pour contrer cela des vaccins. Pour votre allergie aux Italiens, il n’y a aucun médicament. C’est pourquoi, je vous donne ma démission. Le papa Luigi est déçu : Quitter la F.N. pour l’Horeca !

Dorénavant l’Horeca sera sa voie. La voie idéale pour que sa voix adopte un solide accent liégeois. Cet accent sera la grande chance dans la vie d’Angelo. Il va lui permettre de rencontrer à Strasbourg le directeur de Kronenbourg pour la Belgique. Quelques mois plus tard, le 22 octobre 1971, le maïeur de Liège, Maurice Destenay, inaugure rue des Dominicains la Taverne Kronenbourg. L’innovation d’Angelo fut d’ouvrir 24 heures sur 24, à 15 heures, Angelo prend la relève avec une station au comptoir jusqu’au lendemain à 9 heures (…) Cela durera jusqu’en 1976. (…) Dans la belle taverne où il était roi, Angelo souhaitait fidéliser une clientèle agréable dans une ambiance détendue et joyeuse avec, en diffusion permanente, de la bonne musique en accord avec cette clientèle. La clientèle était variée et venait par vagues, des profs d’Univ – Quaden, Rentier -, des cinéphiles, des amateurs d’opéra jusqu’aux belles de nuit.

À travailler 18 heures par jour durant des années, Angelo dégage des fonds pour créer un club de nuit. Sur la suggestion de Marcel Liben, comédien et bistro, il ouvre rue d’Amay le Quiet Club. Caractéristique de ce club de nuit, pas de piste de danse, de l’avis des pessimistes : c’est voué à l’échec. Mais Angelo conquiert sa clientèle avec de la bonne musique, classique, jazz, chansons françaises. En 1982, rue Saint-Jean-en-Isle, ouverture d’un nouvel établissement. C’est Lucien François, professeur à l’Université de Liège (…) qui persuade Danubio de donner à son nouveau club le nom de Jason, personnage mythologique ravisseur de la Toison d’Or. Voulait-il souligner le courage d’Angelo et sa persévérance, à travers ce nom du héros antique ?

Richement illustré de photos relatant une quarantaine d’année de Nuits de Liège, le livre fourmille d’anecdotes sur cette période. Cela va de Claude Nougaro, aux soirées afro-cubaines, au marathon de la chanson française sans oublier la place de l’art. C’est lui qui surtout commence dès l’ouverture du Quiet club, à exposer des artistes (…) Il a compris que les artistes par définition sans trop de moyens doivent pouvoir montrer leur travail. Il les accueille, graveurs, peintres, sculpteurs. Il leur offre gracieusement les cimaises du club. Il agira de même quand il ouvrira sa galerie d’art. Galerie gérée par sa fille Rosanne.

Après avoir remis en 2004 le Jason qui disparaitra en 2008, Angelo installe rue Saint-Jean-en-Isle le Quiet Club. En juin 2017, il cède celui-ci à Americo, son filleul, fils de sa sœur Marianne et à son petit-neveu Régis. Le club est bonnes mains, affirme Angelo. Ils sont jeunes, intelligents, ils savent sélectionner la clientèle et lui assurer la sécurité, car ils sont aussi de solides sportifs. De beaux jours en perspective pour les Nuits de Liège !

  • Les Nuits de Liège sont notamment disponibles dans les librairies Livres aux trésors, place Xavier Neujean et Pax, place Cockerill – 20 €        

« PARIS-PANAME » au Troca : une Revue du tonnerre!

Grâce à l’amabilité de Michel Depas, directeur du Trocadéro, Jean-Luc Vasseur et ses équipes du Commerce liégeois, de Walhardent et de Culture-Liège ont convié des centaines de Liégeois.e.s à la générale de la Revue Paris-Paname. Durant plus de deux heures, un spectacle féerique a charmé leurs yeux et leurs oreilles dans cette bonbonnière de velours rouge et de peinture à la feuille d’or. Une salle magique datant de la fin du XIXème siècle dont la charpente métallique de la toiture a été créée par Gustave Eiffel. Initialement appelée Eden-Strasbourg, rapidement Liège la dénomme Strass. En 1898, une pub proclame : À Strass, èl rowe Lulay / On s’distrêye, on s’y plait / S’on vout passer s’dimègne / Sins s’plainde èt sins fér l’hègne / Qu’court èl rowe Lulay / À Strass, là wisse qu’on s’plait. En 1903, changement de nom : La Renaissance. Une salle qui accueillera notamment des vedettes telles Félix Mayol, Yvette Guilbert et la Belle Otero.  Ce n’est qu’en 1915 que le théâtre de la rue Lulay-des-Fèbvres prend le nom de Trocadéro.

Paris-Paname, c’est un bonheur intégral en voyant évoluer dans des chorégraphies de Toto Mangione filles et garçons de toute beauté, de souplesse et de charme. Comme l’écrit dans le Journal du Troca la Meneuse de Revue Claire Camille : les Chorégraphies de Toto Mangione sont un régal autant pour le corps que pour les yeux. Autre sujet d’émerveillement pour Claire Camille dont la carrière va de l’Opéra de Paris au Ballet Béjart sans oublier le Lido de Paris en tant que Meneuse de Revue, les costumes de Sébastien Lallemand. Je continue d’être estomaquée à chaque costume que je découvre ici ! Le travail des plumes et des strass est divin, et je sais à quel point ces détails sont longs, fastidieux et coûteux à réaliser. Je salue ce travail d’orfèvre et n’ai qu’une hâte : le mettre en valeur et lui donner toute l’attention qu’il mérite !

Le Troca comme on dit à Liège et dans l’adresse courriel du théâtre – www.troca.be – est incontestablement dans notre royaume le lieu des Revues à grand spectacle à l’image des scènes parisiennes. Outre Paris-Paname, en même temps, le Troca programme la Revue Prestige avec Alexise Yerna. Ainsi, le 31 décembre à 17h. est à l’affiche Prestige (1) tandis queà 21h, Paris-Paname (2) l’est.  

  • Représentation Prestige : 13/12 15h, 14/12 15h et 20h, 15/12 15h, 21/12 15h, 22/12 15h, 31/12 17h, 5/1 15h. Réservation du mercredi au samedi de 12h à 18h : tél. 04 223 34 44.
  • Représentation Paris-Paname : 23/1115h, 24/11 15h, 31/12 21h, 18/1 15h et 20h, 19/1 15h, 25/1 15h, 26/1 15h, 8/2 15h, 9/2 15h. Réservation du mercredi au samedi de 12h à 18h : tél. 04 223 34 44.

Art et climat.

Durant la semaine du Sommet Action Climat, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié un nouveau rapport spécial portant sur les océans et la cryosphère. On y apprend que durant le vingtième siècle, le niveau des océans a augmenté de quinze centimètres. Cette hausse va s’accroitre durant des siècles.

Le GIEC prévoit que, fin de ce siècle, pour autant que les températures n’excède pas une augmentation de 2 degrés, le niveau des océans  est prévu de s’élever de trente à soixante centimètres. La vice-présidente du GIEC, l’américaine Ko Barrett  met en garde : Les changements rapides dans les océans et les parties gelées de notre planète forcent les citoyens des villes côtières jusqu’aux zones reculées de l’Arctique à modifier fondamentalement leurs modes de vie. 

Les prévisions du GIEC sont encore moins optimistes si le réchauffement atteint les trois degrés. La hausse de la mer dépasserait le mètre. Le risque de submergement de la Vlaamse Kust et même d’Anvers est pratiquement certain. La superficie de la Belgique descendrait en dessous  des 30 688 kilomètres carrés actuels.

Dès avant la parution de ce rapport spécial du GIEC, la sensibilité artistique a perçu cette évolution. Ainsi, à Chaudfontaine, lors d’une exposition intitulée Le rendez-vous des artistes, une toile de Suzanne Denooz (photo en-tête) montre trois toitures caractéristiques des villas de Knokke-Le Zoute. L’œuvre est sobre. N’émergent de la vaste étendue d’eau que les toits et les sapins appelés à disparaître.

La saison 2019-2020 au Théâtre de l’Étuve.

La nouvelle Étuve a choisi le jour de la Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles – le 27 septembre – pour entamer sa saison 2019-2020. Quinze spectacles répartis sur cinquante-cinq jours de représentation pour accueillir quelques trois mille spectateurs dans la cave du 12 rue de l’ Étuve, ancien murissoir de bananes devenu théâtre il y a plus de soixante-cinq ans.

En matière d’abonnement, une formule inédite portant sur cinq spectacles est proposée au prix très intéressant de quarante-neuf euros. Cet abonnement laisse libre le choix du jour de la représentation. À l’affiche de ce quinté, suite de Toi c’est moi, Toi c’est nous suivi de Nos femmes avec John Grégoire, Pierre Meurant et Anthony Semirana, Bourvil, la tendresse un cabaret concocté par Philippe Dengis, Le Souper où Fouché et Talleyrand sont commensaux et enfin retour des Casse-pieds.

Premier spectacle, le 27 septembre : aux Trois Petits Cochons de Walt Disney, Jean Dufour – auteur et comédien – préfère L’histoire des quatre petits cochons, conte où ne compte que  le plaisir de se jouer des mots, des traditions et des idées toutes faites.

Dernier spectacle, le 23 mai 2020 : Musiques et textes de Guy Lukowski interprétés par Jacqueline Meunier. La guitare a connu au milieu du siècle dernier un tel regain qu’il est permis d’évoquer un phénomène social autant que musical. Symbole de liberté pour la jeunesse, la guitare a été source d’un vaste répertoire et de grands virtuoses. Le Liégeois Guy  Lukowski fait partie de ces virtuoses. Jacqueline Meunier est une interprète subtile et envoutante.

Entre ce premier et ce dernier spectacle, la programmation de la nouvelle Étuve est riche des cinq soirées proposées dans la formule abonnement et de huit autres dont deux avec le sommelier Éric Boschman dont l’une consacrée au vin Ni dieux ni maîtres, un vrai wine-man-show et l’autre consacrée à la bière. Il a un spectacle dédié à Barbara, un autre à la chute du Mur de Berlin, du Jazz manouche, un autobiographique d’un ancien chef étoilé, un voyage en accordéonie et Désolé, c’est monstrueux.

Pour davantage de détails, le plus simple est d’aller voir sur le site www.theatre-etuve.be, un site clair qui – originalité à noter – associe spectacle et gastronomie. À une cinquantaine de mètres de l’Étuve, il y a un excellent restaurant libanais Le Phénicien. Il est possible d’acquérir pour 32 € (29 € pour les senior.e.s) un billet combiné spectacle et dégustation au resto de mezzé et brochette, soit avant ou après le passage au 12 rue de l’Étuve. C’est la garantie d’un double plaisir obtenu en virant au BE27 7320 2709 4373.

La liberté d’expression mise à mal au Liban.

L’histoire se passe au Liban. Prenant connaissance de la programmation du Festival international de Byblos qui a invité, comme en 2010 et 2016, Mashrou’ Leila, un groupe rock libanais, le père Camille Moubarak, responsable de l’école doctorale de l’Université La Sagesse, invite, sur Facebook le 19 juillet,  les chrétiens fidèles à s’abstenir d’assister à ce concert prévu le 9 août.   Jbeil (NDLR nom actuel de Byblos), citadelle de la civilisation, n’est pas un endroit pour la perversion. Je demande aux habitants de Jbeil en particulier et aux Libanais en général de boycotter Mashrou’ Leila, le groupe qui va chanter à Jbeil pour répandre la dépravation, la corruption et le manque de respect envers les symboles religieux.

Mashrou’ Leila, fondé en juillet 2008 par des étudiants de l’American University of Beirut, est à présent un groupe phare du Moyen-Orient, avec ce mélange unique  de rock alternatif et de poésie arabe connu internationalement. Le chanteur du groupe, Hamed Sinno, affiche son homosexualité. Ce qui au Liban n’est certes plus un délit depuis l’an dernier mais est toujours répréhensible comme atteinte à la morale publique. Nous sommes quatre Libanais de différentes religions et milieux socioculturels. Notre objectif  est et a toujours été de nous épanouir en temps qu’artistes et d’utiliser les espaces qui nous sont offerts pour essayer de mettre la lumière sur les problèmes du monde qui nous entoure, tout en essayant de rendre les personnes autour de nous fières. Ni plus ni moins.

Le 20 juillet, sur Facebook, un cadre du Courant Patriotique Libre, le CPL parti du Président du Liban Michel Aoun, Nagy Hayek habitant Jbeil écrit : Cela n’est pas une mise en garde concernant le concert du 9 août à Jbeil. Il s’agit d’une menace directe envers ce groupe et envers tous ceux qui travaillent à promouvoir ses concerts à Jbeil. Nous empêcherons le concert par la force et je serai le premier à le faire. Celui qui porte atteinte à la Croix et au Christ n’a pas sa place à Jbeil. Ce texte retiré deux jours plus tard enflamme les réseaux sociaux, les partis politiques, les ecclésiastiques maronites dont l’archevêché de Jbeil et le Centre d’information catholique qui demandent l’interdiction du concert et le service de la Sécurité de l’État.

Ce service a interpellé deux musiciens du groupe de rock qui ont comparu devant la procureure du Mont-Liban, Ghada Aoun. Celle-ci a ordonné leur relaxe et n’a point demandé l’interdiction du concert. Deux partis chrétiens, les Forces Libanaise (FL) de Samir Géagéa et le CPL réclament l’interdiction à l’inverse du parti Kataëb de Samy Gemayel inquiet du danger qui plane sur les libertés dans le pays.

Mais que reproche-t-on à Mashrou’ Leila ? Réponse de Fifi Abou Dib, chroniqueuse au journal L’Orient-Le Jour : « un article partagé… en 2015, par le chanteur du groupe, Hamed Sinno, sur sa page Facebook, extrait du blog d’un intellectuel américain, activiste des droits de l’homme, diplômé de Harvard. Le blog s’appelle Paper Bird et son auteur signe ses papiers Scott Long. L’article en question est une étude sur les « Icônes », homosexuelles s’entend, et la manière dont la communauté gay, particulièrement vulnérable et isolée dans presque toutes les sociétés du monde, s’attache à des personnalités célèbres auxquelles elle s’identifie, qu’elle s’approprie comme une sorte de bouclier magique et qu’elle glorifie. Cet article est illustré d’une série de portraits de la star pop Madonna apposés sur une icône byzantine, d’un artiste inconnu qui pourrait être, selon certains, de par le style, l’artiste anonyme syrien Saint Hoax. Exhumée après un oubli de près de 5 ans, isolée de son contexte, l’image de Madonna en icône byzantine a été attribuée à Hamed Sinno et brandie par une bande d’allumés comme preuve que Sinno et son groupe incitent à la haine sectaire et insultent les symboles chrétiens. Pour ce qui est des chansons incriminées, l’album tout entier auquel elles appartiennent est inspiré des fêtes païennes de l’Antiquité. L’une d’elles est adressée à Aeode ou Aiode, fille de Zeus et l’une des muses béotiennes, muse de la voix et du chant. Certes, les paroles peuvent être jugées provocantes dans un contexte de susceptibilité  religieuse exacerbée : « Je vais noyer mon chagrin, oublier mon nom et me donner à la nuit/ baptiser mon foie dans le gin/danser pour exorciser les djinns/tremper mon foie dans le gin/au nom du père et du fils. » Dans cette incantation, le chanteur promet à la déesse de se débarrasser de ses démons (ses tourments et ses blocages, bien sûr) pour recevoir la grâce de l’inspiration.

Finalement, avec colère et tristesse, en accord avec les musiciens de Mashrou’ Leila, le  Festival international de Byblos a annoncé être obligé d’annuler le concert pour éviter une effusion de sang et préserver la sécurité et la stabilité. Décision entraînant une prise de position inhabituelle dans la presse, celle du quotidien L’Orient-Le Jour dont le PDG est Michel Eddé, ancien président de la Fondation et de la Ligue maronites, ancien ministre.  Après discussion au sein de la rédaction, il nous a semblé que pour tenter d’enrayer d’emblée un engrenage risquant, bien au-delà de cette affaire, de s’avérer fatal pour les valeurs défendues depuis toujours par ce journal, il nous fallait réagir autrement qu’à l’accoutumée. Cette réaction prend la forme d’un appel (adopté à une quasi-unanimité par la rédaction) à tirer pleinement les leçons de cette affaire, pour ne plus jamais laisser la peur triompher.

Intitulé Liberté d’expression : ne cédons pas face à la violence, l’article réaffirme sonattachement au pluralisme religieux et au respect de la foi de tout croyant, comme à la liberté de chacun de ne pas croire, dans une région où ces principes sont chaque jour un peu plus menacés. (…) nous ne pouvons qu’être indignés face à l’enchaînement des faits qui ont conduit à ce renoncement. () Il est de notre devoir à tous de veiller à ce que notre pays demeure fidèle à sa vocation, être « un message de liberté et un exemple de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident » (Jean-Paul II).

Réaction également de la Fondation Adyan rassemblant chrétiens et musulmans en vue de sortir du communautarisme qui modèle encore la société  libanaise. Dénonçant la crise d’hystérie engendrée autour de l’affaire Mashrou’ Leila, son directeur le père Fadi Daou, un prêtre maronite, estime que  cela ne justifie aucunement l’interdiction d’un concert. Ne l’oublions pas : la valeur ajoutée du Liban est qu’il est le berceau des libertés, avec à leur tête la liberté de croyance et la liberté d’expression. Ce sont les chrétiens en premier qui doivent les sauvegarder et les défendre.

Conclusion de l’affaire Mashrou’Leila, deux opinions tranchée de Libanais-es: Si tu as peur pour ta foi à cause d’une chanson, reconsidère ta foi, pas la chanson et On veut toujours nous amener, nous autres libanais, donc moyen-Orientaux à des normes occidentales, donc permissives à outrance, pour faire de nous de bons singes qui doivent savoir singer.

Cette atteinte à la liberté d’expression dont la presse internationale a brièvement rendu compte n’est pas la seule que le Liban a eue à connaître cet été au point qu’il est permis de dire que cette liberté essentielle est sérieusement menacée. Pas plus tard qu’en ce mois d’août, l’annulation d’une représentation du groupe satirique Ktir Salbeh Show dans un restaurant du Sud-Liban proche de Bint Jbeil, forteresse de la résistance aux dires du Hezbollah. Annulation due faute de clientèle assure le restaurateur. Version contestée par une journaliste Nada Ayoub qui affirme qu’une personne affiliée au Hezbollah a demandé au restaurant d’annuler le spectacle à cause de la tenue des actrices et des blagues à caractère sexuel qui ponctuent la représentation. Version plausible si l’on sait qu’à Bint Jbeil, ville de trente mille habitant.e.s, l’organisation chiite y interdit la vente d’alcool de même que la musique et les fêtes pour les mariages.

Toujours en ce mois d’août, à Nabatiyé, annulation d’une soirée d’hommage à Mahmoud Darwich, célèbre poète palestinien de confession sunnite décédé en 2008. La lecture de ses poèmes devait être accompagnée musicalement par un joueur de tabla. Une atteinte intolérable à la religion.  Tout comme la diffusion d’un cliché montrant une jeune fille, dos nu, devant un mur couvert de graffiti dont l’un en arabe, Dieu est passé par là a valu à son auteur Jad Ghorayeb une volée d’insultes sur les réseaux sociaux.