En 1914, le douzième Tour de France prend son départ de Saint-Cloud le dimanche 28 juin tandis qu’à Sarajevo, l’archiduc François-Ferdinand est assassiné par Gavrilo Princip. Il se termine à Paris, le lundi 26 juillet, 2 jours avant la déclaration de guerre à la Serbie par l’empereur François-Joseph. Le Belge Philippe Thys l’emporte ayant été en tête du Tour tout au long des quinze étapes sans jamais porter le maillot jaune qui n’existe pas à l’époque.
Au deux-cent trentième jour de la fin de la Grande Guerre, en 1919, le treizième Tour de France renaît sur un parcours de 5 560 kms en quinze étapes dont deux en Alsace-Lorraine, territoires rendus à la France. Strasbourg et Metz accueillent le Tour dominé par Eugène Christophe, premier porteur du maillot jaune aux couleurs des pages de « L’Auto », journal organisateur de l’épreuve. Il l’a reçu le 19 juillet au départ de la onzième étape Grenoble-Genève et l’a perdu par suite d’un ennui mécanique le 25 juillet à l’issue de la quatorzième étape Metz-Dunkerque. Le Wallon Firmin Lambot remporte l’étape et le Tour. Firmin Lambot est également vainqueur du Tour en 1922 à l’âge de 36 ans, 4 mois et 9 jours, le plus âgé de tous les vainqueurs. Un des deux Wallons à avoir remporté la grande boucle – l’autre est Léon Scieur, natif de Florennes également – Firmin Lambot est, de l’avis de Théo Mathy, « prudent comme un Sioux, calme, réfléchi, parfaitement organisé, il boit du thé, suce des pastilles de menthe pour lutter contre la soif et il cache dans une poche de son maillot six billets de cent francs, pour acheter un vélo en cas d’accident. »
En 1939, trente-deux jours avant le début de la seconde guerre mondiale, se termine la trente-troisième édition du Tour de France organisé par « L’Auto », unique quotidien sportif de France. Sous la direction de Jacques Goddet, cette trente-troisième édition remportée par le Belge Sylvère Maes est la dernière à l’actif du journal fondé en 1900 par le marquis de Dion qui en a confié, à l’époque, la direction à Henri Desgranges.
Jacques Goddet est le fils de Victor Goddet, un des plus fidèles collaborateurs de Henri Desgranges. Ils se sont connus en 1893 au Vélodrome de l’Est où le coureur cycliste Henri Desgranges s’entraine et Victor Goddet contrôle les abonnements. Ensemble, ils lancent le premier « salon des cycles et de l’automobile ». Ensuite, Victor assure la gestion financière de « L’Auto ».
En 1939, « L’Auto » est en pleine déconfiture. Une des raisons est que « Paris-Soir » – tirage un million huit cent mille – publie les résultats le jour même de l’étape du Tour alors que « L’Auto » les publie le lendemain. Propriété du député de gauche, Raymond Patenôtre, personnage influent de la IIIème République, « L’Omnium républicain de la presse » rachète « L’Auto ».
Le 10 juillet 1940, le député Patenôtre ne participe pas, dans la salle de théâtre du Grand Casino de Vichy, au vote des pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain, maréchal de France. Antinazi, le député Patenôtre gagne les États-Unis après avoir confié la responsabilité de l’ensemble du groupe de presse « Omnium républicain de la presse » à Albert Lejeune. Obtenant mandat de la Propaganda Abteilung in Frankreich qui prévoit une direction allemande, Albert Lejeune parvient à la publication de tous les journaux du groupe dont « L’Auto » sous l’Occupation. Le 17 août 1944, trois jours avant le soulèvement populaire de Paris, « L’Auto » sort son dernier numéro. Parallèlement à son activité de presse, Albert Lejeune participe à l’aryanisation des sociétés juives en acquérant des parts des éditions Nathan et Calmann-Levy. À la Libération, il est condamné à mort en octobre 1944 par la Cour d’Assises de Marseille et exécuté le 3 janvier 1945. Il est le seul patron de presse maréchaliste condamné à la peine capitale, sort connu par nombre de journalistes ayant écrit dans la presse de Vichy.
À son arrivée, en 1939, à la tête de « L’Auto », Albert Lejeune écarte Henri Desgranges et Jacques Goddet. Toutefois, ce dernier est rapidement réintégré. Durant l’Occupation, Jacques Goddet met sous le boisseau l’organisation du Tour de France dont il est directeur depuis 1936 alors que les Allemands la souhaitent. Il refuse l’utilisation de la dénomination « Tour de France » pour la course à étapes organisée en 1942 par le journal « La France socialiste ». Cette course porte le nom de « Circuit de France » dont le vainqueur est le Liégeois François Neuville qui remporte également la quatrième étape Clermond-Ferrand –Saint-Étienne. Jacques Goddet fait partie d’un réseau de résistance, le réseau Alibi rattaché à l’Intelligence Service. Ceci n’empêche pas qu’à la Libération, « L’Auto » connaisse comme l’ensemble de la presse ayant paru sous l’Occupation confiscation et mise sous séquestre de tous ses actifs, aussi bien ses locaux que ses diverses activités.
Jacques Goddet parvient à créer un nouveau journal sportif « L’Équipe » le 28 février 1946 avec l’appui d’Émilien Amaury, président de la fédération de la presse résistante. Deux autres titres de journaux sportifs apparaissent : l’éphémère « Élan » et « Sport », organe proche du parti communiste. La concurrence est grande entre « L’Équipe » et « Sport ». À défaut du Tour de France, toujours sous séquestre, chacun met sur pied une épreuve à étapes, cinq au maximum.
Avec l’appui du généraliste communiste « Ce Soir », « Sport » lance l’unique « La Ronde de France » du 10 au 14 juillet 1946 entre Bordeaux et Grenoble. Sylvère Maes est de la partie. L’italien Giulio Bresci est le vainqueur final. Le 23 juillet, « L’Équipe » avec l’appui du « Parisien Libéré » d’Émilien Amaury fait démarrer de Monaco en direction du vélodrome du Parc des Princes à Paris une course sous-titrée « La course du Tour de France ». Les coureurs sont répartis en équipes nationales et régionales, le capitaine de l’équipe de France est René Vietto. Le vainqueur est un jeune coureur Apo Lazaridès. La veille du départ, « L’Équipe » écrit : « Le Tour de France d’Henri Desgrange, cette épreuve qui réussissait le miracle annuel d’effacer pendant un mois durant les préoccupations du pays et de tenir le peuple en liesse, renaît, plus vigoureux, plus aimé que jamais ».
Ce n’est que le 8 juin 1947 que le commissaire du gouvernement Pierre Bourdan lève le séquestre du Tour de France et en restitue la propriété à son directeur Jacques Goddet dont la presse communiste rappelle le passé maréchaliste. Le 25 juin, le trente-quatrième Tour commence. Le maillot jaune est porté durant dix-sept étapes par René Vietto, la victoire finale échoit à Jean Robic. Raymond Impanis et Albéric Schotte remportent une victoire d’étape. En 1948, le vendredi 23 juillet, le Tour fait halte à Liège pour la première fois. Gino Bartali gagne l’étape Metz-Liège et emporte son deuxième Tour le 25 juillet au Parc des Princes à Paris.
Bel article ! Sport-Politique-Presse (par ordre alphabétique) Un trio toujours d’actualité.
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