Le soixante-et-unième Festival de théâtre de Spa, n’est pas seulement devenu une troisième fois le « Royal Festival » sous la direction d’Axel De Booseré mais en outre la pandémie actuelle fait que ce Festival s’avère cette année très spécial. Les deux spectacles auxquels nous avons assisté ont en effet revêtu des caractéristiques très particulières. « La promesse de l’aube » a dû, en « milieu fermé », se limiter à accueillir une centaine de spectateurs pour respecter les exigences sanitaires. Dans une salle comme celle qui perpétue le souvenir de Jacques Huisman qui fonda en 1959 ce rendez-vous estival de l’art dramatique en Wallonie, chaque couple de spectateurs disposait de neuf sièges…. Cela curieusement ne facilite pas l’acoustique et, malgré la température, ne réchauffe pas l’atmosphère.
Ceci dit l’adaptation théâtrale et la mise en scène par le dramaturge et comédien Itsik Elbas de l’œuvre en partie biographique de Romain Kacew dit Gary, ne manque pas d’intérêt car l’existence de 1914 à 1980 de ce romancier français d’origine juive fut tout-à-fait exceptionnelle. Mais le roman « La promesse de l’aube » (titre qui nous éclaire sur le sens et le ton de la pièce lorsque ces mots sont replacés dans leur contexte : « Avec l’amour maternel, la vie nous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais ») mélange non seulement les faits mais aussi la tendresse, une nostalgie parfois dépressive – voire mystique – et un humour dont l’auteur dit lui-même qu’il « est une déclaration de dignité ». Tout est certes dominé par cet amour maternel, possessif, idéaliste, poignant, excessif, bref infini d’une mère pour son fils. Mais quel fils dont la vie rencontra et parfois dépassa les rêves les plus fous de celle – prénommée Mina – qui l’éleva seule entre la Lituanie où ils furent russes de 1914 à 1921 et la Pologne où ils devinrent polonais de 1921 à 1928 avant de connaître luxe et pauvreté à Nice.
Devenu français Romain obtint une licence en droit à Paris et en 1941 perdit sa mère victime d’un cancer. Devenu français en 1935, Romain avait été incorporé dans la force aérienne où il fut breveté mitrailleur mais il fut le seul parmi ses trois cents condisciples à ne pas devenir officier en raison de ses origines étrangères. En juin 1940, le sergent Kacew s’illustra de multiples manières. Sous le nom de Gary (ce qui en russe signifie feu …) il réussit de très nombreux exploits en étant victime du typhus puis blessé au combat. Promu adjudant, sous-lieutenant, lieutenant, capitaine, il fut fait en 1944 Compagnon de la libération, reçut la Croix de guerre avec deux citations, fut promu commandeur de la Légion d’honneur, etc … Fin 1945 il fut incorporé dans la diplomatie française et travailla en Bulgarie, en Suisse, à New-York et à Los Angeles où il devint Consul Général de France en 1956 année où il reçut le Prix Goncourt pour les Racines du Ciel.
Ses quatre derniers romans furent publiés sous le pseudonyme d’Emile Ajar (ce qui en russe signifie cendre…) et cela lui permit de mystifier le jury du Prix Goncourt qui couronna en 1975 « La Vie devant soi » alors que ce prix ne pouvait pas être attribué deux fois au même auteur. Romain Gary se maria plusieurs fois et en particulier avec l’actrice Jean Seberg (l’héroïne d’A bout de souffle de Jean Luc Godard avec Belmondo) qui le quitta pour Clint Eastwood avant de se suicider en 1979. Ce que Romain Gary fit lui aussi l’année suivante en se tirant une balle dans la bouche avant d’être enterré avec les honneurs militaires en l’église de Saint-Louis des Invalides. Et ce trop long rappel d’une vie où la réalité a sans cesse dépassé la fiction ne reflète qu’une très petite partie d’une telle existence.
Son hymne à l’amour maternel de « La promesse de l’aube » a été servi avec justesse, intelligence et conviction par le grand professionnel qui dirige depuis vingt-cinq ans à Bruxelles le théâtre « Le Public » Michel Kacenelenbogen. Il a été le conteur sobre d’une histoire dominée – a-t-il d’emblée précisé – par l’amour des femmes et celui irremplaçable de la mère. Cette prestation seul sur scène requiert beaucoup de talent. Ce comédien y ajoute de l’humilité. Il a arrêté les applaudissements en fin de spectacle pour dire avec simplicité et sincérité à la centaine de spectateurs toute la satisfaction qu’il éprouvait comme ses collègues à remonter sur les planches dans de telles conditions particulières et pour rappeler que comme acteur amateur c’est à Spa qu’il avait entamé sa carrière …
SOLO
C’est en plein air, sur les gradins du Parc des sept-heures aménagé en 1758 pour favoriser les promenades au centre de la Ville de Spa alors baptisée « Café de l’Europe » que la plupart des représentations du Royal Festival ont eu lieu cette année.
Nous y étions 200, masqués, dans le respect des distances imposées par les exigences sanitaires quand le dimanche 9 août grondait le tonnerre. Le directeur Axel De Booseré vint nous dire qu’en cas de pluie nous pourrions nous réfugier un moment sous les arcades de la Galerie Léopold II avant que le spectacle ne puisse reprendre. Mais le ciel fut clément et ne nous tomba pas sur la tête.
Nous y avons apprécié l’œuvre d’une grande écrivaine de Wallonie : Nicole Malincoli qui naquit en 1946 à Dinant, retourna de 1952 à 1958 en Toscane (où son père fut agriculteur avant de devenir garçon de café) puis qui revint en Wallonie où elle fut notamment la collaboratrice du Docteur communiste namurois Willy Peers, pionnier de la lutte pour la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Après le décès de celui-ci en 1984, Nicole Malincoli s’orienta vers la littérature et son texte « Solo » adapté et interprété par Angelo Bison s’inspire de l’histoire bouleversante de son père, un immigré qui seul à la fin de son existence évoque avec nostalgie et tendresse le long voyage de celles et ceux que la vie conduit à s’exiler.
Angela Bison se reconnaît dans ce trajet de la jeunesse à la vieillesse et donne toute sa crédibilité à ce spectacle de qualité.
Nous aurions aimé pouvoir assister à d’autres représentations mais une chute sans gravité nous froissa néanmoins les côtes et nous a enlevé la mobilité nécessaire pour poursuivre notre découverte d’un Royal Festival qui non seulement fut spécial mais qui en outre a témoigné du courage et de lucidité de ses artisans.
Jean-Marie ROBERTI