Ville de Liège : si les élections communales nous étaient contées … (3/9)

Les scrutins avant la première guerre mondiale puis les dix premiers au suffrage universel en 50 ans de 1921 à 1971

Historiquement, Liège, comme beaucoup de grandes villes, a été dominée par le parti libéral. Le bourgmestre est de cette tendance sans discontinuer de 1830 à 1940. Il doit composer avec les catholiques mais aussi, depuis l’élargissement du droit de suffrage en 1895, avec les socialistes.

En 1830, la ville de Liège comptait quelque 55.000 habitants. Sa puissance économique se développa considérablement pendant tout un siècle de 1815 à 1914, l’Exposition universelle de 1905 montrant que de Londres à Liège notre Cité mosane appartenait au sommet de l’économie mondiale. La puissante Eglise, catholique, apostolique et romaine dominait la Flandre et, dans notre ancienne principauté épiscopale à l’ouest du saint empire romain de la nation germanique, son influence restait importante à tel point que sous l’égide de journaux comme le Courrier de la Meuse et le Mathieu Laensberg (qui allait devenir Le politique), l’union des libéraux et des catholiques s’opéra en 1828 et devint majoritaire à la Province dès 1829.

Il s’agissait notamment pour l’Église catholique de ne pas laisser se répandre la pernicieuse influence de ces protestants qui prônaient le libre examen et une libre interprétation des évangiles. Les unionistes l’emportèrent face aux orangistes qui avaient été justement séduits par les réalisations concrétisées sous l’égide du Roi Guillaume d’Orange-Nassau. L’héroïsme largement légendaire de Charles Rogier et autres Charlier Jambe-de-Bois contribua à la naissance d’une conscience nationale. Dès 1830, il n’y eut pas seulement la réunion du Congrès national avec Surlet de Chokier, de Gerlache, Nagelmackers etc mais aussi l’accession aux fonctions de Bourgmestre de Liège qui furent de 1830 à 1838 exercées par celui qui fonda l’enseignement communal liégeois : Louis Jamme.

Je n’ai pas cherché à retrouver les résultats des élections communales pendant les années 1830 à 1920 car leurs modalités censitaires, capacitaires ou plurales leur enlevaient beaucoup d’intérêt. Qu’il nous suffise de rappeler que parmi les douze Bourgmestres libéraux de cette période deux noms restent encore mis en valeur par les appellations de deux de nos Boulevards ceux de Piercot (pendant 21 ans en trois mandats 1843-1852, 1862-1867 et 1870 à 1877) et Kleyer (de 1900 à 1921).

A. 1921

À la veille de la première guerre mondiale, les socialistes faisaient partie de la majorité communale. Un socialiste, Valère Hénault, à la fin du conflit, fait fonction de bourgmestre, le libéral Gustave Kleyer étant frappé de cécité.

Les premières élections communales de l’après-guerre se tiennent le 24 avril 1921. Un an plus tôt, une loi avait établi, au niveau communal, le suffrage universel pur et simple masculin et féminin dès 21 ans. Les rapports de force s’en trouvent bouleversés.

Disons immédiatement que l’irruption des femmes dans la vie politique liégeoise sera discrète et progressive. Si elles ne sont électrices qu’au niveau communal, elles sont partout éligibles. Deux sont élues conseillères provinciales en 1921 (dont Elise Gérard, épouse de Léon Troclet) mais une seule, catholique, est conseillère communale (Mademoiselle  Guérette). Elle sera plus tard rejointe par quelques socialistes, même si le POB n’était pas partisan du suffrage féminin. Parmi elles, citons Lucie Dejardin, ouvrière, résistante (réseau Dame Blanche de Walthère Dewé), syndicaliste, qui sera aussi députée de 1929 à 1936. Dans les années trente, le parti communiste et Rex auront également une conseillère communale mais jamais le parti libéral.

Si l’élargissement du droit de vote en 1895 avait permis l’apparition d’élus socialistes, le 24 avril 1921 constitua un séisme aux yeux de la bourgeoisie liégeoise car pour la première fois le Parti Ouvrier Belge obtenait la première place avec 32.588 voix soit 38,19 % et 16 élus sur 39 conseillers. Les catholiques avec un score de 31% des votes valables et 12 élus  devançaient de 2 % et un siège, les Libéraux qui obtinrent 29 % des voix et 11 élus.

Les socialistes revendiquèrent la fonction de Bourgmestre et la parité au Collège ce que refusèrent les libéraux qui proposèrent une tripartite rejetée par les socialistes opposés au candidat Bourgmestre de la droite libérale Emile Digneffe réputé pour son intransigeance à l’égard des syndicalistes en tant que patron des usines de la Vieille Montagne. Dès lors une alliance se noua entre catholiques et libéraux qui obtinrent aussi l’Instruction publique et les Finances.

B.1926

Six ans plus tard, les scores obtenus furent les suivants :

Catholiques         33.342 voix     35,19 %          14 sièges,

Socialistes           31.724 voix     33,48 %          14 sièges,

Libéraux              22.287 voix     23,52 %          9 sièges,

Communistes       7313 voix        7,72 %            2 sièges.

Ces résultats montrent l’arrivée des communistes qui obtiennent d’emblée 7.313 voix alors que les socialistes n’en perdent que 864 par rapport à leur score de 1921  et qu’ils sont dépassés en voix (de 1.864 suffrages) mais non en sièges (14) par les catholiques qui égalisent à cet égard. La majorité est reconduite et les libéraux conservent le maïorat confié à Xavier Neujean Jr, fils d’un Ministre d’État et lui-même parlementaire depuis quatorze ans et ancien Ministre des chemins de fer et des postes, téléphones et télégraphes. La gestion financière de la Ville, caractérisée par des déficits de plus en plus graves a  fait perdre 6 de leurs 29 % des voix et deux de leurs onze élus aux libéraux qui pourtant restent incontournables du fait de leur position centrale sur l’échiquier politique et de l’incompatibilité des programmes et des tempéraments entre socialistes et catholiques

C. 1932

La première des deux élections communales liégeoises qui eurent lieu lors de la crise des années 30 donna en 1932 les résultats ci-après :

Catholiques         31.096 voix     32,38 %          14 sièges,

Socialistes           29.372 voix     30,58 %          13 sièges,

Libéraux              16.690 voix     17,38 %          7 sièges,

Communistes       8.972 voix       9,34 %            3 sièges,

Parti national       7.914 voix       8,24 %            2 sièges.

Ce Parti national fascisant, francophile car germanophobe est un signe des temps. Les Jeunes Gardes Socialistes et les milices de défense ouvrière affrontent les communistes d’une part et d’autre part des éléments d’extrême-droite liés à des ligues d’anciens combattants et à des associations de commerçants.

Libéraux et socialistes choisissent alors de s’unir dans des majorités communale et provinciale dont ne font plus partie les catholiques qui maintiennent provisoirement leur nombre d’élus. Chez les Libéraux les progressistes défendus par le quotidien L’Express l’avaient emporté sur les doctrinaires conservateurs soutenus par l’autre quotidien libéral Le Journal de Liège.

Aux côtés du Bourgmestre libéral Xavier Neujean, un socialiste spécialiste du droit social Léon Troclet devient Échevin de la Prévoyance sociale tandis qu’en remplacement de l’ancien Bourgmestre faisant fonction Valère Hénault , un jeune officier de marine puis secrétaire de rédaction du quotidien La Wallonie, Georges Truffaut entame à 33 ans, comme Échevin des Travaux (réalisateur du Lycée de Waha, des Bains de la Sauvenière, du pont de Longdoz et de la statue Tchantchès avant d’installer le Port autonome et d’organiser l’Exposition internationale de l’eau) une fulgurante carrière politique wallonne et liégeoise jusqu’à ce que cet officier de la Brigade Piron soit tué près de Londres lors d’un exercice militaire.

D. 1938

C’est Georges Truffaut qui déclara après les élections communales de 1938 : Liège devait être la Citadelle du Rexisme, elle a été son Waterloo. Et en effet tout était à redouter. Aux élections provinciales liégeoises du 7 juin 1936, sur 86 sièges à pourvoir les Socialistes en obtenaient 34 (moins 7), les Rexistes 19 (plus 19), les Catholiques 12 (moins 17), les Communistes 10 (plus 7), les Libéraux 8 (moins 3) et l’Heimattreuefront (remplaçant les deux élus du Christliche Volkspartei : moins deux) 3 (plus 3).

L’alliance socialiste libérale n’était plus arithmétiquement possible et les Socialistes liégeois la remplacèrent par une alliance avec les Communistes (au grand dam du P.O.B. à Bruxelles). Ce séisme politique allait-il se répéter aux communales de 1938 ? En avril 1937 à Bruxelles le Premier ministre catholique Paul van Zeeland appuyé par tous les partis démocratiques l’emportait contre Degrelle condamné depuis Malines par le Cardinal Van Roey.

En mars 1938, les Rexistes avaient ouvert une permanence rue Lambert le Bègue et un éminent Professeur de droit fiscal de l’Université de Liège Monsieur Victor Gothot avait accepté de conduire leur liste qui obtint 15 % des voix et six élus (15  % de l’assemblée communale contre 22 % de l’assemblée provinciale). Ajoutons que ces six élus démissionnèrent tous du Parti Rexiste en mars 1940, deux mois avant l’invasion nazie.

En ces temps troublés un Collège tripartite Socialistes, Catholiques et Libéraux fut constitué sous la présidence du Bourgmestre Xavier Neujean jusqu’à son décès le 12 janvier 1940, le socialiste Joseph Bologne lui succédant jusqu’au 9 novembre 1942, les nazis décidant alors d’instituer le Gross Luttich placé sous la présidence de deux rexistes Gérard Willems qui démissionna après 9 jours puis par Théophile-Albert Dargent jusque fin août 1944. Celui-ci fut arrêté, jugé et fusillé.

Joseph Bologne reprit alors ses fonctions mais son rôle sous l’occupation ayant été contesté, il fut en 1945 avant les élections communales de 1946 remplacé par l’avocat et député socialiste Paul Gruselin. Mais fermons cette pénible parenthèse non électorale pour conclure en précisant les résultats du scrutin de 1938 qui vit les socialistes reprendre la première place perdue depuis douze ans :

Socialistes           31.001 voix     31,56 %          13 sièges (Statu quo),

Catholiques         22.405 voix     22,82 %          9 sièges (moins 5),

Libéraux              18.429 voix     18,77 %          7 sièges (Statu quo),

Rexistes               15.296 voix     15,58 %          6 sièges (plus 6),

Communistes       10.468 voix     10,66 %          4 sièges (plus 1),

Parti national                                0,61%           0 (moins 2 sièges).

Jean-Marie ROBERTI

Illustration Georges Truffaut                                (à suivre)

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