Un peu d’histoire belge
La révolution de septembre 1830 conduisit à ce que ceux qui payaient des impôts (le cens) et ceux qui étaient instruits ou avaient en charge des fonctions significatives dans la société (des capacités) soient appelés à élire un Congrès national. Le 3 novembre 1830, 46.099 nouveaux Belges sur quelque quatre millions d’habitants élisent 200 députés qui votèrent la Constitution de 1831 qui instaura le vote censitaire mais ne retint pas le capacitaire. La Ville de Liège comptait alors 895 électeurs masculins de plus de 25 ans.
Le corps électoral qui ne comprenait que les plus riches fut élargi par deux diminutions du sens en 1848 et 1871 et en outre par la réintroduction complémentaire du vote capacitaire en 1883. Il y avait deux partis politiques : les cléricaux (catholiques) et les anticléricaux (libéraux divisés entre doctrinaires conservateurs comme le Liégeois Frère-Orban et progressistes favorables au suffrage universel). En 1885 un troisième parti vit le jour : le Parti Ouvrier Belge qui groupait syndicalistes décidés à instaurer les journées de trois fois huit heures, coopérateurs, mutuellistes et politiques dont la priorité était l’instauration du suffrage universel. Cette conquête fut difficile. Les quelques lignes qui suivent l’attestent et pourraient être multipliées.
Le 18 mars 1886 des socialistes liégeois appelèrent à commémorer le quinzième anniversaire de la Commune de Paris. Des troubles éclatèrent. Le lendemain la garde civique de Louvain et de Bruxelles fut appelée à rétablir l’ordre à Jemeppe-sur-Meuse. Il y eut deux morts.
La semaine suivante, c’est à Charleroi que grève et manifestations se poursuivirent.
Le 27 le Général-Baron Vandersmissen qui s’était déjà illustré dans la Légion étrangère en Algérie et surtout par les massacres qu’il ordonna au Mexique, arriva à Charleroi. Après avoir conseillé de former des milices bourgeoises d’autodéfense, il déclara à l’échevin Defontaine: La garde civique est tenue de faire le feu sans sommation sur les émeutiers et il faut donner des ordres en conséquence. Je sais que c’est illégal, mais je me moque de la légalité. On m’a envoyé ici pour rétablir l’ordre et je le rétablirai par n’importe quel moyen.
Sans sommation, il y eut le 29 mars 1886 à Roux douze morts….
Il n’est pas interdit de s’en souvenir d’autant plus que c’est lorsqu’on en est privé qu’apparaît l’utilité de ce suffrage universel qui ne s’use que lorsqu’on ne s’en sert pas.
Fermons la parenthèse qui n’en était pas une.
Le suffrage universel est inscrit dans la Constitution en 1893.
Mais pas n’importe lequel.
Il est réservé aux hommes de nationalité belge de plus de 25 ans et devient un vote plural : les chefs de famille de plus de 35 ans ou payant une taxe de résidence de 5 francs minimum et (ou) qui possèdent un carnet d’épargne de 2.000 francs minimum ou détiennent une rente viagère de 100 francs disposent d’une ou de deux voix supplémentaires. Et alors que le droit de vote aux communales avait été fixé à 21 ans, il est porté à 30 ans et une quatrième voix est accordée pour ce scrutin local aux seuls père de famille payant un cens électoral déterminé ou dont le revenu cadastral atteint 150 francs.
Et c’est alors que fut instaurée l’obligation de voter toujours applicable à tous les scrutins. La première guerre mondiale survint une vingtaine d’années plus tard et changea les règles du jeu dans un sens moins inégalitaire. Le suffrage universel pur et simple est appliqué dès 1919 avant d’être inscrit dans la Constitution en 1921. Les hommes belges disposent tous d’une voix dès leurs 21 ans. Les femmes obtiennent ce droit limité aux communales sauf pour les veuves de guerre et les mères de soldats décédés qui en disposent aussi aux autres scrutins.
Ce n’est qu’en 1948 que toutes les femmes belges de 21 ans purent voter aussi aux législatives et aux provinciales. En 1970 pour les communales et en 1981 pour les autres scrutins, l’âge est abaissé à 18 ans. Celles et ceux ayant la nationalité d’un autre Etat de l’Union européenne et qui sont domiciliés en Belgique peuvent, depuis l’an 2000, s’ils s’inscrivent sur les listes électorales deux mois et demi avant la date des élections voter aux scrutins communal et européen et être candidats sauf aux fonctions de Bourgmestre. Six ans plus tard, les étrangers ayant la nationalité d’Etats extérieurs à l’Union européenne ont été autorisés à voter (mais non à être candidats) aux élections communales s’ils s’inscrivent sur les listes électorales et justifient d’un séjour régulier d’au moins cinq ans en Belgique.
À Liège, ce 31 juillet 2018, le nombre d’électeurs étrangers augmenta modestement par rapport aux précédents scrutins communaux. Sur les 24.910 étrangers susceptibles de s’inscrire sur les listes électorales, il n’y a que 5.795 qui l’ont fait (23%26). 3.914 sont des étrangers en provenance de pays membres de l’Union européenne et 1.881 proviennent de pays hors Union européenne.
La Belgique n’a pas choisi le système de scrutin majoritaire qui aurait conduit à ce que les libéraux soient battus en Flandre par les chrétiens et en Wallonie par les socialistes. Cependant le mode de scrutin proportionnel donnant le même pourcentage d’élus que de voix obtenues par chaque liste est chez nous différent aux communales où la formule Impériali classe les quotients obtenus en divisant le nombre de votes valables pour chaque liste par deux puis trois etc alors que la règle établie par le professeur gantois D’Hondt pour les autres élections démarre à partir du nombre de voix divisé par un puis seulement par deux, trois etc
Nous avons appliqué le système D’Hondt aux résultats des élections communales liégeoises d’octobre 2012 et il est clair que le système Imperiali avantage les listes les plus fortes puisque avec le système D’Hondt le P.S. passent de 22 à 19 sièges et le P.T.B. de 2 à 3 tandis que les listes « Pensionnés » et U.P. obtiennent un élu qu’elles n’ont pas eu.
À présent, notamment aux communales, la parité hommes femmes alternativement est imposée sur les listes des candidats (système dit de la tirette), l’effet dévolutif de la case de tête est supprimé en Région wallonne, les exécutifs doivent comprendre au moins un tiers de membres de chaque sexe et une fois que le nombre de sièges attribué à chaque liste est connu, ces sièges sont octroyés aux candidats ayant recueilli le plus de votes nominatifs (dits de préférence). Chaque électeur pouvant en attribuer (sans limite autre que le nombre de candidats par liste) un ou plusieurs à des candidats d’une même liste (car le panachage reste proscrit).
Le Bourgmestre devient le candidat ayant recueilli le plus de votes nominatifs sur la liste de la majorité qui a obtenu le plus de voix. Cet ensemble de dispositions ne manque pas d’influencer les confrontations électorales, les luttes entre candidats d’une même liste allant jusqu’à prendre parfois – voire souvent – le pas sur la concurrence entre listes.
Un suffrage de moins en moins universel
Une longue étude comme celle-ci suscite des réflexions de plus en plus sombres. Les élections censées assurer à intervalles réguliers une démocratie représentative (le pire des systèmes disait Winston Churchill qui ajoutait : à l’exception de tous les autres) n’assument plus cette fonction. Non seulement il y a longtemps que l’on sait que ces cinq scrutins communaux, provinciaux, régionaux, fédéraux et européens organisés tous les cinq ou six ans ne suffisent pas pour assurer un fonctionnement harmonieux de notre société mais en outre on est de plus en plus obligé de constater que le suffrage dit universel l’est de moins en moins tout simplement parce qu’une partie de plus en plus large de citoyens n’élisent plus leurs représentants.
Prétendre qu’ils sont responsables de cette démission de leurs devoirs civiques ne sert pas à grand-chose car il reste un fait inadmissible : les plus nombreux qui sont souvent les plus démunis et les moins instruits ont de moins en moins voix au chapitre. Et le fait que le système électoral français reflète bien moins encore que le nôtre la réalité sociale n’est pas une consolation Mais expliquons nous.
Prenons l’exemple des dernières élections communales liégeoises celles de 2012.
Il y avait potentiellement plus de 150.000 électeurs à condition de tenir compte de près de 25.000 étrangers pouvant être inscrits (2/3 de l’Union européenne et 1/3 hors Union) mais dont seulement quelque 4.000 se retrouvèrent dans les 131.000 inscrits dont il faut extraire près de 25.000 abstentionnistes, quelques-uns valablement excusés mais la plupart sans excuse valable ni la moindre poursuite à leur encontre. Environ un tiers des électeurs inscrits ou pouvant l’être n’ont pas voté et les votes valables ne représentent plus que quelque deux tiers des inscrits potentiels.
Par rapport aux 150.000 électeurs potentiels, ces deux tiers des votes valables vont pour un quart aux socialistes (qui obtiennent 80 % des mandats exécutifs : 8/10 grâce à moins de 17 % des électeurs potentiels : peut-on dès lors encore parler de système représentatif ?), pour 14 % au M.R., pour une dizaine de pour cent au CDH, pour plus de 8 % à Ecolo et alors pour plus de 4 % au P.T.B.
En tout cas, à Liège, le premier parti est celui des abstentionnistes en hausse constante. Sur le site de la Région wallonne consacré aux élections locales 2018, il est précisé les sanctions prévues au cas où une électrice ou un électeur ne respecte pas l’obligation de voter. Si vos excuses ne sont pas admises par le Procureur du Roi, vous serez appelé par simple avertissement devant le Tribunal de police. Ce dernier statuera après avoir entendu le Ministère public et sans appel possible. Une première absence non justifiée sera punie d’une réprimande ou d’une amende de 5 à 10 euros. Si vous vous soustrayez plusieurs fois de suite à l’obligation de vote, une amende entre 10 et 25 euros vous sera réclamée. Si votre absence non justifiée se produit au moins quatre fois dans un délai de quinze années, vous serez rayé des registres électoraux pour dix ans. De plus, pendant cette période, vous ne pourrez recevoir aucune nomination, promotion, distinction d’une autorité publique.
Il est permis de prévoir un bel encombrement du Tribunal de police au lendemain du 14 octobre. Aussi pour l’éviter, le parquet se fait discret. L’abstention n’en reste pas moins un fléau, une incivilité notoire. Contre les incivilités, le législateur a prévu depuis peu les sanctions administratives communales de manière à désencombrer les tribunaux. N’y-a-t ’il pas là une piste pour lutter contre l’abstention ?
Jean-Marie ROBERTI
illustration : Walthère Frère-Orban (à suivre)