À quelques jours du 14 octobre, Liège 28 est heureux de publier – en feuilleton – une étude de Jean-Marie Roberti consacrée aux diverses élections qu’a pu connaître notre Cité aussi bien sous l’ancien régime que durant le dix-neuvième, le vingtième et le vingt-et-unième siècle.
Une longue marche…
La notion d’élections paraît familière à beaucoup alors qu’elle recouvre des réalités plus complexes qu’on ne le pense et en évolution permanente. La lutte pour plus de libertés et de démocratie traverse l’histoire mondiale depuis des millénaires et, chez nous, depuis des siècles (Charte de Huy de 1066). Le cheminement fut long car ce sont les Révolutions américaine et française au XVIIIème siècle qui permirent d’instaurer des processus électoraux qui conduisirent à la situation actuelle.
SOUS L’ANCIEN RÉGIME
Un exemple liégeois montre qu’il ne s’agissait pas auparavant, sous l’ancien régime, d’une élection telle que nous la concevons.
Le premier des Princes-Evêques de Bavière, Ernest (qui dirigea la Principauté de 1580 à 1612 et fonda notamment l’hôpital qui porta le nom de sa puissante famille) dut, suite à une émeute en 1602 contre un nouvel impôt abusif, consacrer dans deux édits électoraux en 1603 le rôle politique important que jouaient les trente-deux bons métiers de la principale des vingt-trois bonnes villes.
Tous les bourgeois de Liège et alentours inscrits dans un métier (corporation professionnelle mais aussi sorte de chambre électorale) ou devant s’y inscrire dans les huit jours, devenaient électeurs et avaient l’obligation d’assister aux réunions citoyennes sous peine d’amendes afin de forcer les modérés indécis à y participer. Chaque année à la Saint-Jean Baptiste – le 24 juin -, chaque métier devait tirer au sort trois électeurs qui eux-mêmes choisissaient trois personnes honorables et capables dont l’une aussi par tirage au sort devenait un des trente-deux électeurs tandis que les deux autres faisaient partie des 64 jurés de la Cité. Les trente-deux électeurs dressaient une liste provisoire de candidats bourgmestres, liste soumise à l’examen de 22 commissaires nommés, eux, par le Prince-Évêque.
Parmi les candidats choisis et admis les trente-deux électeurs élisaient enfin à la majorité pour un mandat d’un an (non renouvelable consécutivement) deux Bourgmestres qui à Liège jusqu’en 1684 allaient la veille de la fête de Saint-Jacques le Majeur – le 24 juillet – prêter serment au respect des franchises liégeoises, en montant à une tribune de l’abbatiale de Saint-Jacques-le-Mineur où les chartes communales étaient alors conservées et cela en évitant, selon une légende du XIXème siècle, de se croiser grâce à un exceptionnel escalier hélicoïdal à double révolution que vous pouvez encore admirer de nos jours en la Collégiale Saint-Jacques.
Ensuite à Liège et dans d’autres bonnes villes, les deux bourgmestres empruntaient les doubles escaliers de nos maisons communales, l’un ne devant pas céder la préséance en montant derrière l’autre.
FAIBLES LUMIÈRES …
Même le siècle des lumières ne magnifia pas un suffrage vraiment universel. Ainsi les esprits les plus avancés, tel celui du grand défenseur de la séparation des pouvoirs Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu ne défendait pas un suffrage universel pur et simple. Il écrivait que tout homme a le droit de participer au gouvernement d’un Etat à la prospérité duquel il contribue par ses facultés et son industrie. Ce qui semble impliquer un suffrage masculin censitaire et/ou capacitaire.
MAIS A LIÈGE ?
Deux naturalistes germano-britanniques J. Reinhold Forster (senior) et son fils J. Georg Adam Forster (junior) avaient accompagné pendant trois ans – de 1772 à 1775 – le deuxième tour du monde du capitaine James Cook qui fut alors le premier navigateur à franchir le cercle polaire antarctique. Un de ces deux Forster (nous ignorons lequel) de passage à Liège en 1789 a laissé ce témoignage écrit (repris dans un petit recueil – intitulé Liège-Citations –, édité par « Noir dessin») : Le peuple liégeois tout entier, jusqu’au plus infime charbonnier, s’intéresse à la politique. Elle l’occupe toute la journée comme en Angleterre. Partout on lit les journaux, on parle politique par-dessus chaque bouteille de bière ou de vin et on déraisonne sur les Droits de l’Homme et sur toutes les idées qui depuis deux ans sont agitées sur le Continent.
SOUS LA REPUBLIQUE LIEGEOISE
Le suffrage universel pur et simple fut appliqué à Liège lorsque nous n’étions plus une Principauté épiscopale et pas encore un département français : lors de La république liégeoise (1792-1793) comme l’indique en page 258 de son Précis d’Histoire Liégeoise à l’usage de l’enseignement moyen, Félix Magnette (1ère édition, Liège, 1924, Imprimerie Vaillant-Carmanne).
Une convention nationale liégeoise de 120 députés élus par 14 districts (dont 20 députés pour la capitale) fut instituée. Le droit de suffrage était accordé à tous les habitants ayant atteint l’âge de 18 ans écrit Félix Magnette.
Un des deux Commissaires de la République française envoyé chez nous par la Convention, le célèbre Danton, aux prises avec des récriminations de nos concitoyens, s’écria : De quoi vous plaignez vous, Messieurs les Liégeois, vous qui aviez conquis depuis des siècles les libertés que nous venons seulement d’acquérir ?
Cette Assemblée, malgré de vives oppositions notamment des douze (sur 23) bonnes villes liégeoises et thioises de l’actuelle province du Limbourg flamand, prépara la réunion du Pays de Liège à la France, une réunion qui fut remise en cause par le retour des Autrichiens et qui, après la défaite de ceux-ci, ne fut pas prise en compte par la Convention française, qui annexa notre ancienne Principauté comme s’il s’agissait d’une conquête, avec de déplorables conséquences : spoliation de notre patrimoine, arrachage des vignes etc… .
Sous les régimes français, hollandais et belge, le suffrage universel pur et simple disparut alors pendant plus d’un siècle jusque après la première guerre mondiale.
Jean-Marie ROBERTI À suivre