En onze jours, du 11 au 21 août 2017, le cinquante huitième Festival de théâtre de Spa a organisé soixante-huit activités dont cinquante-six représentations de vingt-six spectacles (dont dix affichèrent complets) suivis par près de dix mille spectateurs dont six cent trente abonnés.
Ce bilan en une longue phrase ne dit pas l’essentiel à savoir qu’une page importante vient d’être tournée dans l’histoire du théâtre en Wallonie
Ce lundi 21 août 2017, lors du traditionnel entretien de clôture du Festival de Spa, le Bourgmestre Joseph Houssa, entré dans sa 88ème année, a annoncé qu’en 2018 il ne se présentera pas au scrutin communal du 14 octobre. Devenu conseiller à la fusion de communes en 1976-77 et Bourgmestre dès janvier 1983 (il a donc entamé sa trente-cinquième année de mayorat), cette personnalité dont la liste a obtenu en 2012 plus de 55 % des votes valables (47 % de ces 55 % étant des votes nominatifs de préférence en sa faveur) a, en 1986-87, géré la crise que connut le Festival lorsqu’un Jean-Claude Drouot méprisant succéda au fondateur Jacques Huisman. Joseph Houssa joua en 1988 un rôle actif dans la transmission de l’animation du Festival à Billy Fasbender et André Debaar, puis en 1999, il transmit la direction à un quatuor qui devint vite un duo.
Celui-ci fut dominé dans un premier temps par Armand Delcampe qui put, avec le Bourgmestre, signer en 2002 un contrat programme accepté par le Ministre libéral wallon de la culture, Richard Miller puis négligé par les Ministres socialistes bruxellois de la Culture pendant près de 20 ans. En 2015-2016, un conflit avec la Ministre Joëlle Milquet, qui réduisit les subventions en souhaitant une fermeture, amena Armand Delcampe à se retirer, la co-directrice du Festival Cécile Van Snick assumant une direction intérimaire, tandis que le Bourgmestre Houssa et le Conseil d’administration du Festival confiaient le relais au liégeois Axel de Booseré qui sera seul à la barre, en 2018, lorsque Joseph Houssa prendra sa retraite avec les sentiments de gratitude et de regrets de beaucoup de Spadois et de nombre de leurs amis . Parler d’une page qui se tourne sans évoquer son action toujours la plus favorable possible à l’égard du Festival de théâtre, nous aurait semblé injuste.
©Francis CARLIER
Joseph HOUSSA, Bourgmestre de SPA
Ceci dit venons en (mais en ouvrant d’abord une nouvelle parenthèse) aux quatre derniers spectacles auxquels nous avons eu le plaisir d’assister et qui furent des réussites.
PRÉSENCES MINISTÉRIELLES
Première surprise : la personne qui m’accompagnait au spectacle J’ai faim de Jean-Pierre Dopagne me demanda en regardant une spectatrice qui s’asseyait deux rangs devant nous : la reconnais-tu ? Mais ne dis pas de nom… Je répondis: Ne serait-ce pas une Spadoise d’origine qui vient de déménager de l’agglomération bruxelloise vers Liège ? Nous n’avons pas précisé la fonction exacte de cette dame : Ministre Vice-Présidente du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Ministre de la Culture, de la petite Enfance et de l’Education permanente ainsi que Ministre Vice-Présidente du Gouvernement de la Wallonie, Ministre de l’Action sociale, de la Santé, de l’Egalité des chances, de la Fonction publique et de la Simplification administrative (étant entendu que cette simplification ne s’applique pas d’emblée à l’intitulé des titres ministériels). Cette nouvelle responsable de l’action sociale en Wallonie venait de s’illustrer par une petite phrase confiée au quotidien du monde de la Finance L’Echo et confirmée ensuite : Il faut responsabiliser les gens en mettant fin à l’assistanat.I Ce genre d’affirmation, rarement entendue jusqu’à présent aux Mutualités chrétiennes, pourrait par contre être utilisée comme réplique grinçante par le dramaturge Jean-Pierre Dopagne.
Madame Greoli sursauta légèrement quand, sur scène, un Bourgmestre qui engagé à ne jamais abandonner sa fonction communale, annonçait à ses concitoyens qu’il allait les quitter pour devenir Ministre de l’industrie … culturelle. L’auteur ne précisait pas si cet Hôtel de Ville était proche du confluent de la Sambre et de la Meuse.
Nous étions étonnés que la Ministre de la Culture vînt au Festival de Spa (contrairement à ses prédécesseurs Philippe Moureaux, Eric Thomas, Charles Picqué, Fadila Laanan et Joëlle Milquet) sans être accompagnée du Bourgmestre, des Directeurs du Festival, de l’auteur et du metteur en scène, etc. Questionnée, Cécile Van Snick me précisa qu’Alda Greoli était venue à plusieurs spectacles du Festival cette année et l’an dernier.
Cette participation discrète nous amène à espérer que la Ministre acceptera de conclure en octobre un nouveau contrat programme qui permette d’apporter les moyens nécessaires pour renouer avec l’importance d’un Festival de qualité tel qu’il le fut aux meilleurs moments de l’époque du National, puis quand Armand Delcampe proposait jusqu’à une centaine de spectacles comprenant de nombreuses créations intéressantes.
Ce qui serait peu probable si la Ministre se contentait de suivre l’avis intéressé d’une majorité de subventionnés bruxellois. Quand donc la large majorité parlementaire wallonne comprendra-t-elle que pour rétablir l’équité il est souhaitable d’en revenir aux clés de répartition sur lesquelles, à la fin des années 1970, les Ministres François Persoons et Jean-Maurice Dehousse avaient conclu un accord octroyant à Bruxelles 25 % des dépenses culturelles localisables (vu que cette Région qui bénéficie de la plupart des institutions culturelles restées fédérales réunit 22 % des francophones du Royaume dont elle est la capitale) les trois quarts de ces dépenses allant dans cette hypothèse à la Wallonie qui aujourd’hui, dans les faits, ne bénéficie que d’un tiers des subventions à l’art dramatique ce qui est – de toute évidence – inacceptable. Mais la volonté politique pour en revenir à l’équité ne fait-elle pas tristement défaut ?
J’AI FAIM de Jean-Pierre Dopagne
Décidément, Jean-Pierre Dopagne confirme qu’il est, en Wallonie, un dramaturge majeur maîtrisant excellemment une construction théâtrale complexe dans un style oral qui a l’apparente simplicité du langage naturel. Comme feu notre ancien Professeur de littératures comparées à l’Université de Liège, Robert Vivier romaniste sensible au charme musical de la langue italienne, Jean-Pierre Dopagne structure cette composition sur les misères de notre monde en faisant tourner sept personnages autour d’une pancarte proclamant J’AI FAIM qu’a placée à côté d’elle une femme jeune et mystérieuse tant qu’elle se tait.
Les réactions sont fonction des déceptions éprouvées, des ambitions déçues, des rêves abandonnés. Comme toujours, chez ce faux Candide de Dopagne (qui est définitivement retraité de l’enseignement supérieur puisqu’il a fêté son 65ème anniversaire la veille de l’ouverture le 11 août 2017, du festival spadois), l’ironie affleure, cruelle. Iconoclaste, Dopagne dénonce les dysfonctionnements tant de la collectivité que des individus.
Depuis 20 ans, celui qui fut l’adaptateur de Dario Fo, a écrit, outre trois saynètes, treize pièces éditées par Lansman, traduites en une quinzaine de langues, la plus célèbre restant L’Enseigneur jouée en France sous le titre Prof par le grand comédien Jean Piat.
Il nous paraît désolant que la Wallonie n’ait pas encore distingué son mérite exceptionnel : elle pourrait le faire en attribuant aussi cette fois à titre posthume cette distinction à Robert Vivier dont je ne pourrai jamais assez vous recommander la lecture d’un texte assez court (http://www.larevuetoudi.org/fr/story/un-grand-peuple-robert-vivier) écrit lors de la question royale en 1950 par le père adoptif à Chênée d’Haroun Tazieff, le vulcanologue.
Les huit jeunes comédiens qui ont (dans une sobre mise en scène d’Antoine Motte dit Falisse, assisté par Nathalie Berthet) interprété J’ai faim : Laura Dussard, Manon Hanseeuw, Julie Verleye et Laurie Willième ainsi que Maxime Anselin, William Clobus, John Krier et Gilles Poncelet sont très professionnels. Leur compagnie porte le nom d’un héros du roman Cléopâtre écrit, au XVIIème siècle, par Gauthier de Costes de La Calprenède. Ce héros s’appelle Artaban. Ces comédiens ont-ils été aussi fiers que celui-ci en apprenant que « leur Ministre », celle de la Culture, les a applaudis ? Ils ne nous l’ont pas dit mais, sceptiques comme Dopagne, ces jeunes apprécieront les responsables du domaine de leurs activités en fonction de ce que permettront les moyens tels qu’ils seront répartis;
BEATLEJUICE de Dominique Jonckheere
Voilà qui n’est pas du théâtre mais un spectacle que les festivaliers ont accueilli avec enthousiasme. Musicien, chanteur, chef d’orchestre, comédien, humoriste à ses heures, l’ingénieur-informaticien Dominique Jonckeere est d’abord un pédagogue perfectionniste passionné. Il travaille vraiment beaucoup mais fondamentalement par plaisir, un plaisir qu’il apprécie pleinement quand il suscite celui des autres.
Ses brillantes études d’ingénieur civil lui permirent de s’assurer en une vingtaine d’années, une aisance matérielle suffisante pour se consacrer exclusivement à la musique. Il joua d’abord de la guitare, accompagna un moment le chanteur Philippe Lafontaine puis, à 25 ans, se tourna vers la musique classique, fonda et dirigea un chœur (1981-1994) puis un Orchestre (1989-1999) tous deux appelés Oratorio et depuis 20 ans, ce jeune sexagénaire multiplie compositions (notamment pour une dizaine de films) et concerts (plus de 500 de Bach au Rock) en réalisant en outre des spectacles musicaux concernant Purcell et Haendel, Bach et Mozart mais aussi les musiques les plus actuelles. À cet égard, je suis un complet béotien limitant mon écoute à la chanson française à texte et à la musique la plus classique. J’avoue que j’ignorais pratiquement tout des Beatles. J’avoue aussi avoir été séduit et m’être bien amusé lors des deux parties de ce spectacle minutieusement mis au point avec le concours d’une équipe d’une quinzaine de collaborateurs allant d’’une assistante de production et d’un ingénieur du son à la voix et aux bruitages assumés par sa compagne, la comédienne Patricia Houyoux en passant par une douzaine de musiciens en studio : cinq violons, deux altos, un violoncelle, une trompette, un saxo, une clarinette et une choriste. Je suis bien incapable d’apprécier tel ou tel aspect des choix musicaux assurés parmi les 200 chansons des Beatles mais je peux vous assurer une chose : si vous apprenez l’organisation d’un spectacle musical par Dominique Jonckheere courrez-y : c’est une assurance de la plus haute qualité
AU FIL DE L’HISTOIRE DE JEAN LOUVET & TOURNÉE GÉNÉRALE
©Francis CARLIER
Armand DELCAMPE en compagnie de l’équipe de Liège 28, Pierre ANDRÉ et Jean-Marie ROBERTI
Un hommage en deux parties (une biographique et une mise en scène d’un dernier acte théâtral) a été joué, une seconde fois, le dernier soir de ce 58ème Festival .
Cet hommage Armand Delcampe voulait le consacrer à son compagnon depuis plus de trente ans : Jean Louvet. Armand Delcampe a raison : Louvet, fils de mineur devenu prof de français, dramaturge de talent, homme de gauche aux convictions indéracinables et grand Wallon, chantre de la pleine souveraineté de notre peuple mérite amplement cet hommage. Les complices d’Armand dont son épouse Marie-Line Lefebvre furent excellents.
Mais pourquoi étions-nous là ? Pourquoi le Bourgmestre de Spa, Joseph Houssa était-il assis dans la rangée qui précédait la nôtre ? Soyons francs, c’était moins pour Louvet que pour Armand Delcampe lui-même dont nous nous disions que ce serait sans doute sa dernière prestation au Festival de Spa auquel il a tant donné de lui-même pendant près de vingt ans.
Il y a trop à dire à son sujet et à propos de luttes que nous avons partagées comme le rappelle dans La Gazette de Liége ce lundi 28 août le chef d’édition Paul Vaute en citant Liège 28.
ALPENSTOCK de Rémi De Vos
©Francis CARLIER
Axel de BOOSERÉ, nouveau directeur du Festival de Théâtre de SPA
Enfin nous avons quitté ce 58ème Festival de Spa en assistant à une représentation d’une farce paroxystique de Rémi De Vos qu’Axel de Booseré, nouveau directeur du Festival (après l’avoir été de la Compagnie Arsenic qui rassembla 200.000 spectateurs lors de 1.200 représentations), a avec sa complice Maggy Jacot, conçu, mis en scène, scénographié et pour laquelle il a créé les costumes. Avec trois talentueux comédiens Mireille Bailly, Didier Colfs et Thierry Hellin chargés de gonfler les traits et grâce à une équipe de sept techniciens et artisans de qualité pour régler comme du papier à musique les deux demi-heures de ce spectacle échevelé, où ce ne sont pas les portes qui claquent comme dans les vaudevilles mais des éléments du décor qui se détachent de partout, s’avérèrent très joyeuses. En bref du rire et une heureuse conclusion du festival, le racisme étant ridiculisé.
Jean-Marie ROBERTI
Les mots que vous avez choisis pour décrire BeatleJuice me vont droit au cœur et je vous en remercie chaleureusement.
Très cordialement,
Dominique Jonckheere
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MERCI JEAN-MARIE « NEMO DAT QUOD NON HABET » ( « personne ne donne ce qu’il n’a pas…. ») je t’embrasse compagnon ! Armand
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Cher Monsieur Roberti,
Je vous remercie de m’avoir transmis cet article, très (trop) élogieux à mon égard.
Vous dites beaucoup de vérités.
Beaucoup de vérités « qu’il ne faut pas dire »…
Et, pour réagir à ma reconnaissance publique que vous évoquez, c’est bien ce qui se passe avec mon théâtre : la plupart des centres culturels n’en veulent pas, parce que « on ne peut pas dire ces choses-là à notre public.
Aujourd’hui, le public veut rire et se divertir.
Hé oui…
Quant au ministre de l’industrie culturelle (l’expression n’est pas de moi mais du philosophe Adorno, en 1948 !), il est vrai qu’on pourrait l’apparenter à une certaine personne du confluent namurois.
Pourtant, la pièce a été écrite en 2013…
Comme quoi le théâtre peut avoir des visions prémonitoires.
Merci encore, très cordialement.
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