Dimanche dernier, 13 août 2017, nous avons choisi au 58ème Festival de Spa, d’assister à deux spectacles : On ne badine pas avec l’amour d’après Alfred de Musset, co-production des Théâtres de la Chute et Varia d’une part et d’autre part Le Roi nu d’Evguéni Schwartz une co-production des Baladins du Miroir et de la Maison Éphémère dont le co-directeur artistique Guy Theunissen a assuré la mise en scène.
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Dans la seconde moitié des années 1950, j’ai eu, très jeune, le grand privilège de découvrir trois œuvres majeures d’Alfred de Musset, au Théâtre National Populaire, en Avignon puis à Chaillot, dans trois interprétations de Gérard Philippe, servies par la musique de scène de Maurice Jarre : 1°) Lorenzaccio, dans la cour d’honneur du Palais des Papes, avec aussi Daniel Ivernel, dans une mise en scène de Jean Vilar reprise par l’acteur du rôle-titre, 2°) Les caprices de Marianne dans les Jardins (d’aucuns disent les Vergers) d’Urbain V, avec aussi Geneviève Page, dans une mise en scène de Jean Vilar et 3°) On ne badine pas avec l’amour dans la grande salle d’un Palais prestigieux, place du Trocadéro, où l’on trouve également le Musée de l’Homme, avec aussi Suzanne Flon dans une mise en scène du cinéaste René Clair.
Il s’agissait certes d’interprétations d’une qualité tout-à-fait exceptionnelle, d’un accompagnement musical toujours dense et harmonieux, parfois même surprenant (particulièrement lors de l’ouverture de Lorenzaccio par les fanfares du père de Jean-Michel) et cela dans des mises en scène assurément innovantes. Mais ces innovations allaient de pair avec le respect de l’intégrité des œuvres. Ce n’est pas le cas ici.
En découpant dans les trois actes de cette pièce, les scènes concernant le dramatique trio amoureux formé par Perdican, Camille, victime de l’intégrisme catholique, et Rosette, et en éliminant les scènes légères et humoristiques conçues par Musset au profit d’intermèdes burlesques de son cru entremêlés de poèmes de l’auteur, le metteur en scène et scénographe Benoît Verhaert se sert de Musset. Nous aurions préféré qu’il le serve. En outre, nous ne comprenons pas l’intérêt des anachronismes musicaux de Samuel Seynave.
Verhaert et Seynave ne sont pas plus René Clair et Maurice Jarre que Stéphane Pirard et Céline Peret ne sont Gérard Philippe et Suzanne Flon. Mais ce spectacle, condensé en une bonne heure pour permettre des animations notamment scolaires, mérite de larges circonstances atténuantes. Il a été monté et joué par cinq comédiens (Audrey D’Hulstère et Vincent Raoult s’ajoutant aux trois précités) qui sont de vrais professionnels talentueux, dynamiques qui entrainent une chaleureuse adhésion du public. Que nous n’atteignions pas aujourd’hui le niveau auquel étaient parvenus Jean Vilar, Gérard Philippe et bien d’autres (je me souviens de Philippe Noiret et de Jean-Pierre Darras alors dans de tout petits rôles) est malheureusement normal. C’est une question de moyens.
D’origine spadoise, Madame Alda Greoli, la Ministre Vice-Présidente des Gouvernements de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles en charge de l’Action sociale, de la Santé, de l’Egalité des chances, de la Fonction publique et de la Simplification administrative en Wallonie ainsi que de la Culture et de l’Enfance au niveau communautaire ne semble pas prête à s’inscrire, deux tiers de siècle plus tard, dans la lignée de Jeanne Laurent.
Cette archiviste-paléographe quadragénaire nommée en 1946 sous-directrice des spectacles et de la musique au Ministère de l’enseignement dont dépendait la culture lutta afin de pouvoir créer un théâtre national populaire visant un large public y compris en dehors de Paris alors que les activités dramatiques étaient l’apanage de la bourgeoisie de la capitale française. Le jour même où en juillet 1951, elle obtint enfin un accord politique sur son projet de création, elle prit le train vers Avignon où depuis 1947 Jean Vilar animait un festival estival d’art dramatique et elle dut beaucoup insister pour convaincre ce grand metteur en scène et comédien d’accepter la charge d’une telle direction.
À notre connaissance, la gare de Spa n’a pas encore vu arriver la responsable chez nous de l’art dramatique afin de proposer au Liégeois Axel de Booseré de diriger un rééquilibrage entre Bruxelles et la Wallonie des subventions théâtrales sur une base équitable : non plus deux tiers pour la capitale et un tiers pour le reste mais bien les trois quarts pour la Wallonie et 25 % pour Bruxelles siège des institutions culturelles fédérales. Sans doute faudra-t-il attendre que les membres wallons du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui sont 75 sur 94 se rendent compte que 79,79 % constituent une majorité suffisante pour enfin se faire respecter en particulier dans le domaine des dépenses budgétaires localisables.
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C’est sous le chapiteau des Baladins du Miroir que nous avons suivi la représentation du Roi nu. Cette pièce est l’œuvre d’un écrivain soviétique qui eut 21 ans lors de la Révolution de 1917, qui abandonna des études de droit pour le théâtre et qui engagé contre le totalitarisme, se consacra d’abord à la littérature enfantine. Au départ de contes d’Andersen, il rédigea une première pièce pour adultes Le Roi nu. Il eut beau expliquer que le tyran qu’il visait était Hitler, les censeurs du Kremlin en interdirent la représentation au cas où des spectateurs auraient confondu avec Staline. Une autre de ses œuvres pour adulte Le Dragon eut plus de chance : elle fut représentée une fois. Schwartz fut longtemps malade et décéda en 1958 cinq ans après que Khroutchev ait succédé à Staline mais il ne vit pas représenter en U.R.S.S. son Roi nu qui dut attendre 1960 pour l’être Cette farce (qui au premier degré suscita l’hilarité des jeunes enfants présents devant nous) ne manque pas de causticité et vaut surtout par le rythme donné au spectacle par le texte lui-même, les décors, les danses et une musique entraînante mais marquée – comme des allusions à l’informatique – par d’inutiles anachronismes. La qualité d’ensemble du spectacle est principalement due à l’homogénéité d’une troupe de deux douzaines de membres dont une moitié de comédiens : Les Baladins du Miroir qui constituent la compagnie wallonne la plus remarquable.
Elle a été fondée et dirigée par Nele Paxinou qui, le mois dernier, est devenue sur proposition transmise par Didier Reynders au Palais Commandeuse (féminin de Commandeur selon mon Petit Robert) de l’Ordre de la Couronne. Mais on dément que ce soit après qu’il ait vu Le Roi nu que Philippe 1er ait fait promulguer l’accès de cette comédienne à cette haute distinction. Nele est née en 1942 à Anvers d’un père grec et d’une mère flamande qui s’installèrent à Bruxelles où leur fille devint une jeune comédienne professionnelle. Frappée à 23 ans par une maladie qui la priva de l’usage de ses jambes, elle entreprit et réussit à Louvain-la- Neuve deux licences universitaire : une en philosophie et l’autre en sciences théâtrale chez Armand Delcampe. À trente-trois ans elle réalisa de premières mises en scène dont en particulier de pièces de Michel de Ghelderode. À quarante, elle fonda sa compagnie itinérante qui prit comme nom Les Baladins du Miroir parce que le théâtre est le miroir de la vie. Implantée entre ses tournées chez elle à Thorembaix-les-Béguines, sa compagnie qui donne le meilleur exemple de promotion de l’art dramatique en Wallonie vient de déménager dans un domaine de deux hectares et demi à Jodoigne ce qui n’a pas pu se faire sans l’appui de Louis Michel. Il faudrait aller plus loin en inversant les subventions accordées au très bruxellois Théâtre national et à la compagnie de Nele Paxinou. Celle-ci a récemment cédé le relais de la direction générale à Gaspar Leclère qui l’avait rejointe en 1984. Nous ne l’avons pas revue cette année à Spa où nous n’avons pas encore croisé le Bourgmestre Joseph Houssa qui, le mois dernier à 87 ans, avait présidé aux réactions nécessitées par une menace d’attentat lors de Francofolies.
Mais laissons cette fois la conclusion à Nele Paxinou qui faite en septembre 2012 Chevalière du Mérite Wallon écrivait alors : De la créativité, de la créativité, de la créativité ! … Ce simple mot recèle en lui l’avenir de notre jeunesse et la survie de notre société moribonde. Apprenons aux jeunes à en mettre dans chacune de leurs actions. C’est grâce à l’éducation et à la Culture que nous pourrons « encore » leur montrer le chemin …
Jean-Marie ROBERTI