« Karl Marx, le retour »

 

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« Karl Marx, le retour »

Enthousiasmant . . .

J’ignorais l’existence de Howard Zinn ce professeur pacifiste de Boston connu pour son oeuvre majeure : « Une histoire populaires des Etats-Unis ».

Il a fait éditer en 1999 (il avait 77 ans et est décédé onze ans plus tard) un monologue intitulé : « Marx in Soho » qui concerne le discours que tient le philosophe, économiste et homme politique allemand longtemps exilé dans la quartier londonien de Soho et autorisé
par les autorités célestes à venir s’expliquer pendant une heure face à ses détracteurs plus nombreux encore là où il arrive par erreur administrative : certes à Soho mais à New-York.

Les francophones ignorant la double existence de Soho, l’adaptateur Thierry Discepolo choisit comme titre « Karl Marx Le retour . . . »

Howard Zinn s’explique :
« J’ai écrit cette pièce à une période où l’effondrement de l’Union soviétique générait une liesse presque universelle : non seulement l’« ennemi » était mort mais les idées du marxisme étaient discréditées.
[…] Je voulais montrer Marx furieux que ses conceptions eussent été déformées jusqu’à s’identifier aux cruautés staliniennes.
Je pensais nécessaire de sauver Marx non seulement de ces pseudo-communistes qui avaient installé l’empire de la répression mais aussi de ces écrivains et politiciens de l’Ouest qui s’extasiaient désormais sur le triomphe du capitalisme.
Je souhaite que cette pièce n’éclaire pas seulement Marx et son temps mais également notre époque et la place que nous y tenons. »

La réussite est exceptionnelle.

Ce discours est intelligent, nuancé, souvent très drôle, percutant.
Il ravit celles et ceux qui ne sont pas de droite au point de susciter l’enthousiasme.
Tant de vérité, tant d’humanisme aurait conduit si on le leur avait demandé, les spectateurs à mêler à leurs ovations, le chant de l’Internationale.
Ce spectacle requinque.
J’ai entendu une spectatrice dire en souriant : « Si Elio était socialiste, il engagerait Michel Poncelet pour améliorer le moral des militants de ses sections locales « .
Mais écoutons un moment quelques extraits de ces explications marxistes qui concernent aussi la famille, la religion et bien d’autres sujets.

« Vous vous demandez sans doute comment je suis arrivé jusqu’ici, les transports en commun !
J’ai lu vos journaux.
Ils proclament tous que mes idées sont mortes !
Mais il n’y a là rien de nouveau.
Ces clowns le répètent depuis plus d’un siècle.
[…] J’ai vu les luxueuses publicités dans vos magazines et sur vos écrans.
Oui tous ces écrans avec toutes ces images.
Vous voyez tant de choses et vous en savez si peu.
Personne ne lit-il l’Histoire ?
Quel genre de merde enseigne-t-on dans les écoles par les temps qui courent ?

« Ils prétendent que, du fait de l’effondrement de l’Union soviétique, le communisme est mort.
Ces imbéciles savent-ils seulement ce qu’est le communisme ?
Pensent-ils qu’un système mené par une brute qui assassine ses compagnons de révolution est communiste ?
Scheissköpfe ! . . .
Et ce sont des journalistes et des politiciens qui racontent ce genre de salades !
Qu’est-ce qu’ils ont bien pu faire comme études ?
Ont-ils jamais lu le Manifeste qu’Engels et moi avons écrit quand il avait vingt-huit ans et moi trente ?
Nous y disions qu’ »en lieu et place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, nous devons avoir une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »
Vous entendez ça ?
Une association !
Comprennent-ils le but du communisme ?
La liberté individuelle !
Que chacun puisse devenir un être humain plein de compassion.
Pensez-vous que quelqu’un qui se prétend communiste ou socialiste mais se comporte comme un gangster comprenne quoi que ce soit au communisme ?
Abattre tous ceux qui ne sont pas d’accord avec vous, est-ce possible que ce soit ça le communisme pour lequel j’ai donné ma vie ?
Ce monstre qui s’est accaparé tout le pouvoir en Russie — et qui a tout fait pour interpréter mes idées comme un fanatique religieux — est-ce qu’il a permis à ses vieux camarades qu’il collait au peloton d’exécution, de lire la lettre dans laquelle je disais que la peine de mort ne pouvait être justifiée dans aucune société se disant civilisée ?
Le socialisme n’est pas censé reproduire les erreurs du capitalisme !
Ici, en Amérique, vos prisons sont surpeuplées.
Qui les remplit ?
Les pauvres.
Certains ont commis des crimes violents, de terribles crimes.
La plupart sont des cambrioleurs, des voleurs, des bandits, des revendeurs de drogue.
Ils croient tous à la libre entreprise !
Ils font ce que font les capitalistes, mais à une plus petite échelle . . .
Savez-vous ce qu’Engels et moi avons écrit sur les prisons ?
« Plutôt que de punir les individus pour leurs crimes, on devrait éliminer les conditions sociales qui engendrent le crime, et fournir à chaque individu tout ce dont il a besoin pour développer sa propre vie. »
D’accord, nous avons parlé de « dictature du prolétariat ».
Mais ni de dictature du parti, ni de dictature du comité central, encore moins de dictature d’un seul homme.
Non, nous avons parlé d’une dictature provisoire de la classe ouvrière.
Le peuple prendrait la tête de l’État et gouvernerait dans l’intérêt de tous – jusqu’à ce que l’État lui-même devienne inutile et disparaisse progressivement.

Voyez-vous cet épisode merveilleux de l’histoire de l’humanité, la Commune de Paris ? . . . 

Les gens étaient réunis vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans toute la ville, par groupes de trois ou quatre, prenaient les décisions ensemble pendant que la ville était encerclée par les armées françaises, menaçant de les envahir à tout moment . . .
Voilà la véritable démocratie !
Pas les démocraties anglaises ou américaines, où les élections ne sont que du cirque, où, quel que soit le candidat qui gagne, les riches continuent de diriger le pays . . .
La Commune de Paris ne vécut que quelques mois.
Mais elle fut la première assemblée législative de l’histoire à représenter les pauvres.
Ses membres refusèrent des salaires supérieurs à ceux des ouvriers.
Ils réduisirent les horaires des boulangers.
Et ils réfléchirent au moyen de rendre les théâtres gratuits . . . »
Ajoutons cette phrase qu’au siècle dernier Zinn prêtait à Marx homme du siècle précédent mais dont l’actualité nous semble évidente :
« La guerre pour soutenir l’industrie, pour rendre les gens tellement fous de patriotisme qu’ils en oublient leur misère.
Des fanatiques religieux pour promettre aux masses que Jésus va revenir.
Je connais Jésus.
Il n’est pas prêt de revenir . . . »

 

Qui incarne Marx ?
Un citoyen de Jandrain Jandrenouille, Michel Poncelet qui aura 56 ans le mois prochain et qui depuis un tiers de siècle s’affirme professionnellement à Bruxelles.
Il signe ici une création marquante donnant une réelle crédibilité au personnage historique de Karl Marx.
Cette grande performance individuelle a été rendue possible par une demi-douzaine de collaborateurs de la Compagnie productrice PEG Logos : Fabrice Garden metteur en scène « juste » (comme je les aime : qui sert le texte et ne s’en sert pas), la créatrice du costume Béatrice Guillaume et plus rare de la barbe Véronique Lacroix (barbe qui a réussi à être – à son avantage – comparée avec les photos de Marx) éclairage, son et régie étant assumés par Daniel Scahaise, Laurent Beumier et Nicolas Fauchet.

 

Après les trois représentations spadoises de ces 8 et 9 Août et celle du Karreveld à Bruxelles le 10 Août, huit représentations sont programmées au début de l’an prochain au Blocry à Louvain la Neuve les 15, 16, 17 et deux fois le 20 Janvier 2015 et aux Riches Claires à Bruxelles les 10 et 23 Janvier ainsi que le 5 Février 2015.

 

Quand j’écoutais Michel Poncelet, je voyais des affiches qui de manière prémonitoire illustraient à la fin des années 1960 plusieurs des thèmes traités pour décrire les préoccupations de Karl Marx.
Ces affiches furent des créations de mon ami Philippe Gibbon né à la vie militante en 1968 et devenu en Wallonie un des plus talentueux artistes aux multiples facettes illustrées en 2008 par une rétrospective en l’église Saint-André. Philippe m’a fait parvenir des reproductions en taille réduite de cinq de ces affiches :
  – en août 1968, un tête de Marx disant ce qu’il pense aux Brejnev, Ulbrich, Kadar et autres Gomulka ayant acquiescé à l’écrasement sous les chenilles des chars soviétiques des militants du Printemps de Prague

  

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  – en 1969, la re-création d’une affiche du syndicat CGIL ramenée de l’automne chaud italien : « LES PATRONS SONT-ILS INDISPENSABLES ? » (ces dessins et ce lettrage de Gibbon ayant été repris en de multiples langues (la dernière fois par des anarchistes russes). Nul doute que cela aurait plu à l’exigence de vulgarisation que Madame Marx souhaitait imposer à son époux.

  

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   – en 1971, une affiche citant Engels pour célébrer le centenaire de la Commune de Paris

 

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   – un clin d’oeuil, Marx assis demandant « Eh bien, mes cocos, vous y mettez du temps ! »

 

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 Je persévère et je signe : oui ce retour de Karl Marx est enthousiasmant.
Par contre, je n’ai pas du tout été convaincu par la fresque de l’évolution pendant un siècle et demi d’une usine métallurgique bourguignonne, fresque souvent vaudevillesque, établie au départ de témoignages recueillis par un des comédiens (originaire du village dominé par cette usine) et mis à la disposition de l’auteur metteur en scène.
Ces « Métallos et dégraisseurs » produits par la Compagnie Taxi-Brousse sont pétris de bonnes intentions et nécessitent beaucoup d’efforts.
Ils ne méritent pas que je détaille le fait que je n’ai pas accroché du tout à ce spectacle.

 

Jean-Marie Roberti