1914 viol d’une neutralité

        Depuis 1839 et une confirmation en 1870, le Royaume de Belgique a vécu sous un régime de neutralité garantie par les Puissances. Certes, au sein du gouvernement, il y a un ministère de la Guerre mais l’armée est composée de miliciens tirés au sort. Il est permis à qui a tiré un mauvais numéro de se faire remplacer moyennant finances – 1000 à 1600 francs, fin 19ème – par quelqu’un qui en a tiré un bon. Celui-ci connaît ainsi durant au moins 15 mois, la promiscuité et l’immoralité (le 19ème est prudissime) des casernes. Le mardi 14 décembre 1909, Léopold II signe la loi organisant le service militaire personnel. Cette loi a été votée le vendredi 12 novembre  1909 par une majorité circonstancielle groupant l’opposition libérale et socialiste et des députés catholiques. Le chef de file des conservateurs de droite, CharlesWoeste reproche au premier Ministre François Schollaert de passer à gauche avec armes et bagages.

        La neutralité a eu un coté quelque peu euphorisant. Pour preuve, cette déclaration du mardi 6 juin 1899, du Président de la Chambre, Auguste Beernaert, à la 1ère Conférence de la Paix à la Haye : Quant à la Belgique, vous le savez, sa situation est spéciale. Elle est neutre et cette neutralité est garantie par les grandes puissances et notamment par nos puissants voisins. Nous ne pouvons donc pas être envahis.

        D’autres parlementaires sont moins naïfs. Au lendemain de la deuxième Conférence de la Haye, un rapport parlementaire précise : Pour observer la neutralité, un État doit non seulement s’abstenir de prendre part directement aux conflits entre d’autres États, mais encore veiller au maintien de l’intégrité de son territoire et empêcher que les belligérants en usent dans un but hostile, soit pour y faire des incursions, soit pour le traverser. Le devoir imposé au neutre de défendre sa neutralité n’est donc ni moins formel ni moins impérieux que celui qui impose le respect de la neutralité au belligérant.

        Tirant les leçons de la guerre franco-allemande de 1870, le gouvernement belge décide d’accroître la défense du Réduit d’Anvers de nouveaux forts et de faire de Liège et de Namur des positions fortifiées. Le lieutenant-général Henri-Alexis Brialmont est chargé de l’exécution de cette tâche. Il dépasse le budget alloué et a l’audace de demander des crédits pour construire un treizième fort à Lixhe. Refus du Parlement. Réplique de Brialmont : Messieurs, vous en pleurerez des larmes de sang…De fait, le mardi 4 août 1914, la trouée de Visé a permis aux hussards de la mort de franchir la Meuse en aval de cette ville dès les premiers jours de guerre.

        Au moment de son accession au trône le jeudi 23 décembre 1909, le Roi Albert sait que la neutralité belge est menacée. Le lundi 11décembre 1911, son oncle, le Roi Carol 1er de Roumanie confie à son représentant le miracle de 1870 ne se renouvellera pas. La Belgique doit avoir à sa  disposition des troupes importantes si elle veut éviter le pire (…) Vous mériteriez une raclée pour vous apprendre à faire les sacrifices nécessaires. D’origine allemande, Carol 1er est peu ou prou au courant des plans de l’État-Major allemand établi sous la direction du comte von Moltke, plans prévoyant un droit de passage sur le territoire belge.

        Averti des confidences roumaines, Charles de Broqueville – Chef de Cabinet depuis le samedi 17 juin 1911 – porte toute son attention aux questions militaires. Le mardi 12 novembre 1912, il prend en charge le ministère de la Guerre. Les débats parlementaires de 1913 aboutissent au vote de la Loi de Broqueville instituant le service militaire personnel, généralisé, obligatoire. Une réorganisation du commandement des armées est en cours. En janvier 1914, l’ancien responsable de l’éducation militaire du Prince Albert, héritier présomptif du Trône depuis la mort de son frère Baudouin le mercredi 21 janvier 1891,   le lieutenant-général Gérard Leman est nommé commandant de la position fortifiée de Liège et de la 3e division d’armée.

        Ces bouleversements de la politique belge ne changent guère l’opinion de l’Attaché militaire près de la Légation de France, le colonel Eugène Génie qui le 12 novembre 1912 a écrit : le gouvernement catholique de Bruxelles ne manque aucune occasion de manifester sa partialité contre la France en faveur de l’Allemagne. Quelques mois plus tôt – le mercredi 21 février 1912 exactement – le général Joseph Joffre, partisan de l’offensive à outrance, a préconisé au Quai d’Orsay une entrée préventive de l’armée française en Belgique.

        Le mardi 4 novembre 1913, le comte de Rethy – c’est sous ce nom évoquant des terres campinoises dont son père Philippe a hérité de Léopold Ier que le Roi Albert voyage incognito – se rend à Lunebourg, en Basse-Saxe, où est cantonné le 2ème Régiment des dragons prussiens. Le Roi Albert est, en effet, le colonel en chef de ce Régiment tout comme l’a été son oncle Léopold II. Après avoir inspecté ses troupes, il gagne Postdam où l’Empereur Guillaume II de Hohenzollern le reçoit à dîner, un dîner familial, le 5 novembre. Le jeudi 6, promenades et de nouveau un dîner mais de gala cette fois en l’honneur du Souverain belge.

        À l’issue de ce repas,  conversation prolongée entre le général von Molkte, le visage dur, et Albert, l’air troublé. Le soir, de retour à Berlin, le Roi prie son ministre Eugène-Napoléon Beyens de passer le voir le lendemain matin. Le vendredi 7, dans le parc de Thiergarten, Albert raconte ses entretiens avec l’Empereur qui est convaincu que la guerre avec la France excitera en Allemagne un enthousiasme universel ! Soucis royaux, Beyens demande l’autorisation de rapporter, en toute discrétion, ces propos à son collègue français Jules Cambon. Prenant congé de son ministre, Albert précise ne manquez pas d’aller voir Monsieur Cambon ! Réaction de celui-ci : l’Empereur conseillait à la Belgique d’être sa complice si elle ne voulait pas être sa victime.

        Les archives de Liège 28 (cfr 2 août2009, 1 septembre 2009 et 12 septembre 2009) retracent ce qui s’est déroulé en juillet et août 1914 tant à Bruxelles qu’en région liégeoise.

        Notre article risque d’être incomplet s’il ne signale pas que mardi 4 août 1914 – date de l’enterrement de Jaurès – marque le début de la réalisation de la prophétie datant de 1778 de l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche : La monarchie des Hohenzollern sera un jour la source de malheurs infinis non seulement pour l’Allemagne, mais aussi pour toute l’Europe !