Feuilleton : LA TIGRESSE DE MANILLE par Oncle Bob 6/6

J’avais dû promettre à la jeune femme de la retrouver après mon périple dans le Nord et dans d’autres îles comme Cebu, Palawan et Mindanao.

Lors de notre retour à Manille nous devions y passer deux jours avant de repartir vers l’Europe. La veille de notre départ, je m’étais rendu dans la boutique où j’avais déjà acheté la salopette bleue pour Flordeliza. J’avais remarqué qu’elle aimait aussi un chemisier blanc mais à ce moment-là, elle n’avait rien demandé. J’ai donc décidé de l‘acheter et de le lui offrir avant mon départ. Bogdan m’avait déconseillé de retourner à la gargote car il pressentait des problèmes.

Une pluie tropicale s’abat ce jour-là sur la capitale. Un taxi me conduit à destination alors que des trombes d’eau envahissent les rues. Lorsque j’atteins le quartier chinois, mon taxi roule dans cinquante centimètres d’une eau sale, boueuse, charriant divers détritus. Je demande au chauffeur de m’attendre quelques minutes, le temps de saluer une amie.

En pénétrant dans le snack, je vois Flordeliza avec un visage congestionné, un regard agressif. Elle me dit en anglais qu’elle ne me laissera pas rentrer en Europe. Je lui appartiens. L’épisode du G.I américain l’a traumatisé et, en dépit des précautions prises lors de notre première rencontre, elle a imaginé qu’elle pourrait me forcer à rester à Manille.

J’ai toujours son cadeau dans les mains et veut le lui remettre. A ce moment elle saisit une bouilloire d’eau bouillante qu’elle me jette au visage. Je parviens à éviter l’obstacle. Flordeliza devient hystérique et veut me frapper. Je bats en retraite pour rentrer dans le taxi. Elle me suit et y pénètre à son tour. Pendant que je demande au chauffeur de me reconduire à l’hôtel, Flordeliza s’empare du paquet qui lui était destiné, ouvre la fenêtre et le jette dans le torrent d’eau qui ne cesse de croître. Avec la chaleur et l’humidité je commence à me sentir mal, d’autant plus que je suis forcé de me protéger des coups qu’elle me porte. Le chauffeur propose de l’emmener à la police qui la mettra en prison. Ce n’est évidemment pas mon souhait devinant le sort qui pourrait lui être réservé.

Une douleur brutale au bras gauche est le résultat d’une morsure qui a traversé à la fois ma veste et ma chemise. Je réfléchis rapidement car je vois le temps qui passe et le risque de rater l’avion devient de plus en plus probable. Flordeliza hurle qu’elle a des frères dans la police et l’armée ; qu’ils vont nous arrêter ou nous  flinguer  dès notre arrivée à l’aéroport.

La chance me sourit car un taxi proche du mien débarque un passager. Je glisse dix dollars à mon chauffeur, lui indiquant de retourner vers le quartier chinois et d’y déposer la demoiselle. Je saute dans un flot d’eau pour me transporter dans la voiture qui m’emmène à l’hôtel. Bogdan ne me voyant pas arriver, en homme avisé, a ramassé ma valise et m’attend devant le porche de l’hôtel.

Je lui explique mon histoire et il s’inquiète des menaces proférées. C’est en courant que nous nous précipitons vers le guichet d’enregistrement. Le vol vient d’être clôturé. Nous nous démenons tant et si bien que le chef d’escale nous enregistre. Nous montons sur la passerelle alors que la porte de l’appareil allait être fermée et nous gagnons nos places sous le regard mécontent des passagers dont nous avons retardé le départ.

Nous reprenons notre calme et respirons enfin quand l’avion a pris sa vitesse de croisière et que la souriante hôtesse nous offre des serviettes chaudes et parfumées. Lorsque j’enlève ma veste et que je remonte les manches de ma chemise, Bogdan voit la morsure et distingue parfaitement l’incrustation des dents dans la chair. Il conclut: La prochaine fois, tu te méfieras des tigresses de Manille !

FIN DU RÉCIT « LA TIGRESSE DE MANILLE » – © Auteur ; ROBERT LOMBAERTS