Romancier, chroniqueur, essayiste, poète, dramaturge, cinéaste, le Québécois Jacques Godbout excelle dans tous ces domaines. Cependant n’ayant jamais été un être tragique (devrais-je dire hélas ?), je n’avais pas encore cédé à la tentation biographique. Un dessinateur de talent, Remy Simard est parvenu à le convaincre. À septante-cinq ans, il a accepté la proposition en se donnant une seule contrainte : les véhicules (motorisés) en seraient le fil conducteur, j’écrirais une auto-biographie (1). Un chef d’œuvre d’auto-dérision !
Cette semaine sont parus les entretiens portant sur les livres, la politique, la culture, la religion, le Québec, la saisine menés par le sociologue Mathieu Bock-Côté – né en 1980 – et le (jeune) octogénaire Jacques Godbout – né en 1933. Ensemble, ils ont fait Le tour du jardin (2). Comme le dit la notice de l’éditeur, Jacques Godbout y évoque les personnes qu’il a fréquentées et les moments dont il a été le témoin privilégié. C’est l’occasion de découvrir le portrait d’un être rare, un intellectuel québécois qui a tenu, pendant soixante ans de vie publique, à assumer son rôle dans la cité, celui d’éveilleur de consciences et de passeur entre les générations. Le sociologue – chargé de cours à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke – explique sa démarche : je lui ai parlé comme à un interlocuteur intellectuel de premier plan, comme à l’un des observateurs les plus brillants du Québec.
En réponse à une question sur les rapports entretenus par les Québécois et la langue française, Jacques Godbout réplique : Nous n’avons pas, au Québec, de problèmes de langue, mais un problème de langage. La façon que nous avons d’utiliser la langue révèle notre esprit. Notre langage devrait nous permettre de communiquer avec les francophones du monde, mais nous restons désespérément attachés à notre idiome. (…) On entend de moins en moins un langage relevé, savant ou tout bonnement respectueux des règles. Desquelles, du, dont, et le reste ont disparu. S’est ajouté le «çala» pour faire court. Qu’un journaliste à la radio répète «il est pas capable» plutôt qu’«il est incapable» me hérisse, il existe des mots et des locutions pour tout dire ! Nous nous privons des nuances que permet une langue qui a accumulé une richesse lexicale depuis mille ans! Montréal est une ville menacée par la pauvreté du français beaucoup plus que par la langue anglaise. Chaque fois que Gaston Miron rentrait d’Europe il se désespérait de notre lexique famélique : «Porte, portière, portillon, portail, huis, disait-il, c’est fou ce qu’on peut ouvrir quand on a les mots pour le dire!»
(1) Autos biographie – Jacques Godbout – Illustrations de Remy Simard – Éditions Les 400 coups – 152 pages – Diffusion en Europe Le Seuil
(2) Le tour du jardin – Jacques Godbout – Entretien avec Mathieu Bock-Coté – Éditions du Boréal – 242 pages – Diffusion en Europe Volumen