Le « 54ème festival royal de théâtre SPA 2013 » (« Royal certes mais … menacé sûrement »
avertit celui qui depuis une quinzaine d’années anime ces journées de valorisation de l’art dramatique en Wallonie) a débuté ce 9 Août et se terminera le 20. Nous sommes allés à l’ouverture et nous irons notamment au Brecht des Baladins du Miroir, à la lecture de la pièce la plus récente de Jean Louvet (qui est de notre famille : celle des Wallons les moins à droite possible) et au bilan de clôture. Vendredi dernier, nous avons dégusté en guise d’apéritif une des œuvres de la trilogie du dramaturge finlandais contemporain Mika Myllyaho : « Chaos » (les deux autres volets de ce triptyque s’intitulant « Panique » – celle des hommes face aux exigences féminines – et « Harmonie » – celle que les couples risquent de détériorer davantage en travaillant ensemble).
Quant au « Chaos », c’est celui que provoque le fait que trois amies disjonctent pour des raisons
professionnelles, familiales et/ou sentimentales. C’est au « metteur en scène » – et en valeur -, « adaptateur, décorateur, responsable des costumes et des lumières » qu’est Jean-Claude Idée polyvalent de l’art dramatique – il fut même en 1999-2000 co-directeur de ce Festival spadois – que nous devons cette découverte dont ce fut la création mondiale en langue française. Ecrite dans un style tantôt tendre, tantôt cinglant, souvent ironique, toujours lucide, cette pièce vaut aussi par les performances des comédiennes qui jouent avec justesse et conviction leurs propres rôles mais aussi celui de tous les autres personnages – masculins aussi bien que féminins – qui interviennent dans les relations complexes de leurs différentes histoires. Isabelle Paternotte – particulièrement convaincante -, Stéphanie Van Vyve et Nathalie Willame confirment leurs très grandes qualités de comédiennes qui pendant plus d’une heure trente méritent amplement l’ovation que le public leur a réservé à l’issue de la représentation. Bref pour le Festival mieux qu’un apéritif un excellent et surprenant hors d’œuvre.
Mais ce vendredi, la soirée d’ouverture proprement dite présentait « L’Amant jaloux » de Grétry au Théâtre Jacques Huisman. Une remarque préalable : quelles étaient les personnalités présentes ? Le Gouverneur de la Province de Liège (Michel Foret omniprésent mais atteint au premier semestre 2015 par la limite d’âge – 67 ans – de sa fonction) et le Bourgmestre de Spa, l’inoxydable Joseph Houssa (candidat pour la première fois en 1976, devenu Bourgmestre en 1982, il reste donc à 83 ans le titulaire de cette fonction depuis 31 ans avec une majorité croissante de plus de 55%) étaient entourés de Jean-Pierre Grafé (81 ans notamment Président du Conseil de la Communauté française de 1985 à 1988) et de Valmy Féaux (80 ans, Ministre Président de l’Exécutif de la Communauté française de Belgique de 1988 à 1992). Et où se trouvaient ce 9 Août les actuels Ministres, Parlementaires, fonctionnaires principaux de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Une partie en congé annuel, mais une partie seulement. Ceux qui ne le sont pas ? Je ne les connais pas tous mais je n’en ai vu aucun. Par contre, si j’étais allé non à Spa mais en Avignon, il est peu douteux que j’en aurais croisé bien davantage non sur ni même sous le pont mais dans un théâtre acheté il y a une bonne dizaine d’années par la Communauté française de l’époque. Combien cela coûte-t-il ? Pas seulement l’investissement mais en outre le fonctionnement, le coût du personnel, les réceptions et accueils d’invités ayant lieu essentiellement pendant le Festival soit moins d’un mois par an entre la mi-juillet
et la mi-août et cela depuis plus de dix ans. Qui en profite même en dehors du calendrier du Festival ? Chez nous, ni les retraités spadois, ni les anderlechtois , mais bien particulièrement un establishment dominant surtout à Bruxelles et aussi dans ce cas-ci son entourage. Mieux vaudrait assurément renouveler les contrats-programmes dont l’abandon conduit à la mort par asphyxie des laissés pour compte que de poursuivre une politique qui s’adresse aux mieux nantis.
Ceci dit pourquoi Grétry à Spa ? Parce que le Directeur du Festival Musical de Lasne (non, ni Monsieur ni même Madame Uytendaele mais bien Bernard Delire) apprécie le compositeur liégeois dont le bicentenaire du décès est l’occasion d’obtenir une aide spécifique de la Fédération Wallonie Bruxelles. Dès lors, Bernard Delire et le président de l’organisation lasnoise Jean-Pierre Mévisse ont proposé au fondateur de l’Atelier Théâtre Jean Vilar Armand Delcampe de mettre en scène un des opéras comiques de Grétry adapté et dirigé musicalement par le directeur de ce festival du Brabant wallon. Le tout a dès lors été marqué par le professionnalisme d’Armand Delcampe qui a pu disposer d’une équipe ne se limitant pas aux six comédiens chanteurs (deux sopranos et une mezzo-soprano aux côtés de deux ténors et d’un baryton basse, à qui il a fallu apprendre non pas à chanter mais à interpréter au mieux les textes parlés), aux deux quatuors – un à cordes et un à vents – ainsi qu’à la mandoliniste et à la contrebassiste mais comprenant aussi plus d’une douzaine d’autres personnes, outre le directeur musical : un scénographe concepteur des costumes, un spécialiste de l’expression scénique et gestuelle, un assistant metteur en scène, un responsable des lumières et de la direction technique, deux peintres décorateurs, une personne confectionnant les costumes, un régisseur général s’occupant des lumières, deux régisseurs de plateau, une maquilleuse et une habilleuse sans compter pour la construction du décor, l’Atelier du Théâtre des Galeries.
Cette signature d’Armand Delcampe permet en mobilisant les moyens disponibles de réaliser un
spectacle visuellement prestigieux ne manquant ni de rythme musical, ni de rythme théâtral. Quand dans la « Libre Belgique » Madame Martine Dumont Mergeay – une des rares critiques d’art lyrique du Royaume – s’enthousiasme pour ce « bijou » dont la musique pourrait « soutenir la comparaison avec les plus belles pages de Mozart », ma conviction est qu’elle déraille. De même quand le programme écrit à propos d’un quiproquo sur l’identité d’un personnage : « Molière est bien là ! » cela m’apparaît débile. « L’amant jaloux » opéra bouffe de Grétry sur un livret de Thomas d’Hèle qui a tiré ce sujet d‘une comédie de l’anglaise Suzanna Centlivre, ce n’est pas un opéra de Mozart sur un livret de Molière d’ailleurs mort en scène 83 ans avant la naissance à Salzbourg de Wolfgang Amadeus.
Dans le prologue d’une pièce en un acte « Le mot de Cambronne » Sacha Guitry disait de sa voix à nulle autre pareille (je cite de mémoire) :
« Cette petite comédie est ma centième comédie,
Oui cent déjà, qu’on ne m’en garde pas rancune,
Oh j’eusse cent fois préféré n’en faire qu’une
et que ce fut Le Misanthrope !
Hélas je n’y suis pour rien, Dieu ne l’a pas voulu ».
Sacha Guitry ne manquait pas d’esprit ce qui lui permettait de distinguer le génie du talent.
J’ai vu de jeunes adolescents s’enthousiasmer et ovationner longuement la comédie ballet des deux Jean-Baptiste (Poquelin dit Molière et Lully) auteurs du Bourgeois Gentilhomme. Cela ne me paraît pas envisageable pour Grétry dont on a raison de célébrer le bicentenaire du décès sans s’imaginer pouvoir le ressusciter.
Jean-Marie ROBERTI (A suivre)