En cliquant www.bon-a-tirer.com , le lecteur découvre une revue littéraire en ligne.Dans un numéro daté du 15 août 2010, Daniel Droixhe étudie les feuillets de Liége publiés dans les années 1934/1935 par le professeur de l’ULg , Fernand Desonay. Celui-ci évoque notamment le Standard. Des propos qui étonnamment semblent sortis d’une bonne plume d’aujourd’hui.
À Liége, nous avons le Standard. À Liége, ou plutôt à Sclessin. Dans ce cirque lépreux de corons, de terrils, quel Victor Hugo (…) chantera les exploits agonistiques de nos diables «roûches»?
Un match au Standard est un «event» local, comme disent ces anglophiles de la tribune centrale. (…) Et si les trams verts, de bourlinguante mémoire, viennent d’être remplacés par de confortables automotrices, c’est que les recettes bi-mensuelles sur le trajet «Place du Théâtre-Stade» autorisent tous les décaissements.
Comme l’équipe du Standard est la seule qui «officie» (le terme est consacré) en division d’honneur, l’honneur wallon, l’honneur liégeois se trouve engagé dans la bagarre. (…) cet honneur est chatouilleux et un hidalgo de Castille, auprès d’un journaliste de la Fédération Liége-Luxembourg, n’est, révérence parler, qu’un Pédeloup.
Cette équipe porte-drapeau — le drapeau au coq hardy — a ses vedettes, pour ne point dire ses tabous. L’affaire Capelle a divisé, divise encore l’opinion (…). Capelle est un charmant garçon, qui poursuit, fort brillamment, ma foi! ses études de droit.( …). Le futur avocat jouait du ballon rond, tout comme maître Tschoffen se joue du vocabulaire psychopathique. C’est pourquoi il avait porté, dans l’équipe nationale, l’écusson au lion de Belgique. Et le coq hardy de coqueriquer, haut et clair. La disgrâce est venue. Et elle est venue de Sclessin. Tant il est vrai que les meilleurs ne sont jamais honorés chez leurs proches. Mais le public liégeois n’a rien compris au déboulonnage de son idole. Le Standard sans Capelle, c’est, pour la masse des supporters, un corps sans âme, une dinde sans truffes, un bourgogne sans bouquet.
Le chauvinisme des spectateurs sportifs est un mal nécessaire. Les Anglais, qui ont inventé le «fair play» — le mot, mais point la chose — en sont, sur le chapitre des applaudissements et des huées, au même point que nous.(…) À Sclessin, le Standard doit gagner. C’est une tradition (… ) Malheureusement, à cette règle de la suprématie locale, il arrive, une ou deux fois par saison, qu’une équipe «visiteuse» (autre terme consacré) inflige le plus cruel des démentis. Le public, un instant décontenancé, cherche l’explication, une excuse. L’excuse est toute trouvée : elle porte en général, culottes courtes et bas de sport : l’arbitre.
L’arbitre joue sur les grounds de football, le rôle de commissaire au théâtre de Guignol. Le sifflet, dont il lui arrive de tirer de péremptoires injonctions, est bien l’insigne de son grade. Car onques cabotin, méchant pitre, nouveau Montfleury ne fut plus copieusement sifflé. D’ordinaire, au Standard, les manifestations en restent là. Le public est satisfait quand il a agrémenté ce concert sibilant d’épithètes variées qui vont à «arbitr’ di choucoulôt» à «mâssî Flamind». Mais voici que, par deux fois, la conduite de Grenoble qu’on fait à l’arbitre rentrant au vestiaire menace de dégénérer en une sorte d’émeute.(…))
L’affaire de l’Antwerp a eu son dénouement de carnaval. Pour un accrochage assez sec, l’arbitre avait exclu, d’autorité, le nouveau capitaine de l’équipe wallonne. Comme le joueur anversois, victime du coup de pied, avait riposté illico par une maîtresse gifle, les spectateurs — logiquement, il faut en convenir — hurlèrent à l’arbitr…aire. Et ce fut, à partir de la vingtième minute de jeu, autour du ground enfiévré, le plus assourdissant des concerts. Dans cette tempête de cris, de vociférations, de sifflets rageurs, le malheureux arbitre perdit le peu de sang-froid qui pouvait lui rester.(…) Et le jeu avait à peine recommencé qu’il devint évident que nous étions en Amérique. De football, il n’en était plus questions. Les équipiers ne songeaient qu’à la bagarre; et les fautes les plus brutales étaient saluées d’applaudissements … ce qu’on appelle l’esprit sportif (…)
Obstinés, forts en gueule, par centaines, par milliers peut-être, les partisans des «Rouches» assiégeaient les vestiaires. Au demeurant, la mansuétude de la foule a quelque chose de touchant. Et ce Monsieur Staelens (ainsi se nommait l’arbitre conspué) a manqué de psychologie, c’est-à-dire qu’il a manqué de cran. Au lieu de se terrer, comme un lapin de garenne, de se cacher, de plaider coupable, que ne sortait-il, tête haute, la fameuse orange à la main? Pas un Liégeois, j’en suis sûr, n’aurait frappé cet homme seul, seul contre tous. Mais nous avons, en wallon, une épithète un peu crue pour désigner les trembleurs et ce pleutre : «couyon, va!».
Mais ce dénouement d’opérette? On ne fait pas mieux au vaudeville. Tremblant, suant de peur et pressé par l’heure du train, l’arbitre en fut réduit à endosser l’uniforme du commissaire de police. Sous le képi galonné d’argent, il n’avait plus un poil de sec. Les assiégeants, pour laisser passer Monsieur le Commissaire, firent la haie. Une excellente scène pour la prochaine revue du Trocadéro!
Car c’est ainsi que nous sommes à Liége : chauvins et respectueux, mauvais caractère et bon cœur. Et ce Standard, magnifique et inconstant, qui collectionne les trophées et les vestes, imbattable aujourd’hui, demain objet de risée, équipe la plus fantasque et la plus sympathique, supportera les plus chauds et les plus prompts au découragement, le parfait thermomètre que voilà de la température de chez nous!