En quinze jours (au lieu de douze en 2011), soixante représentations par vingt-trois compagnies de vingt-six spectacles comprenant six créations dont quatre « mondiales » ont été suivies par onze mille spectateurs qui ont occupé 80% des places disponibles dans une demi-douzaine de lieux différents. C’est en substance ce qu’a déclaré d’emblée la Directrice Cécile Van Snick, au traditionnel apéritif de clôture du Festival Royal de Théâtre de Spa (le cinquante troisième !) insistant aussi sur la place importante offerte aux jeunes compagnies, sur le nombre d’auteurs francophones belges (onze furent représentés), sur le rôle croissant de la musique et des chants, sur les trois rencontres et les deux lectures qu’elle-même présenta ou anima et enfin sur les six stages de cinq jours d’expression théâtrale qui s’adressèrent à quelque 70 participants. Bilan incontestablement positif (même sans y ajouter les quatorze représentations d’un spectacle Labiche par le Théâtre local des Sources).
LE RETOUR DE PEPPONE
Cécile Van Snick assuma seule la direction des deux premiers tiers du Festival car Armand Delcampe fêtait son septante-troisième anniversaire dans les ruines de l’Abbaye de Villers-la-Ville en y incarnant le Maire communiste italien Peppone dans une adaptation théâtrale de Don Camillo. L’effort de composition pour entrer dans la peau de son personnage s’avérait certes raisonnable. Par contre, il est insensé de jouer cinq fois deux heures pendant six semaines en plein air en Belgique, c’est-à-dire souvent dans la pluie et une très réelle fraîcheur nocturne. Cela constitue une performance physique dont l’exercice devrait être interdit à celles et ceux qui dépassent le demi-siècle afin de leur permettre d’entamer au moins le dernier quart de ce même siècle.
Armand Delcampe – qui (le plus tard possible) mourra jeune – revint à Spa les cinq derniers jours du Festival royal, attentif à tout y compris à l’accueil du Président en fonction du P.S. Thierry Giet venu en voisin apprécier la pièce de Michael Frayn Démocratie traitant de la chute de Willy Brandt berné par l’espion Gunther Guillaume. Le co-directeur du Festival, porteur de projets multiples, s’auto-proclamant – tel Guy Spitaels choisissant de monter à Namur – retraité depuis 2008 et membre à vie de l’A.S.B.L. Atelier-Théâtre Jean Vilar concluait son éditorial de présentation de la nouvelle saison de sa compagnie en s’écriant : Oui public ! (…) notre plaisir le plus délicat est de faire le tien, précepte valable au théâtre comme en amour et coïncidant avec ce que Jean de La Bruyère dans Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle (le XVIIème) formulait déjà comme suit : Le plaisir le plus délicat est de faire celui d’autrui. »
COUPS DE CŒUR et coups de gueule…
Le public invité à s’exprimer lors de l’apéritif de clôture formula moins de critiques, de suggestions, de considérations d’ordre général que de coups de cœur pour tel ou tel spectacle : tout y passa non sans quelque contradiction. Pour ma part si j’ai suivi à Spa comme journaliste professionnel actif (de 1964 à 1976) puis retraité (depuis 2005) une quinzaine de festivals, mon souci est d’autant moins de critiquer que je suis revenu de Méditerranée à la mi-août et que mes choix de huit spectacles en quatre soirées n’ont pas selon plusieurs amis été les plus judicieux. Quelques lignes cependant sur les spectacles dans l’ordre où je les ai découverts. Dans La Robe de Gulnara, Geneviève Damas qui met en scène un texte d’Isabelle Hubert se réjouit de sortir de la vision manichéenne du réfugié victime de la surdité du monde occidental. Ces dames pensent que ces réfugiés sont responsables de leur sort. Elles semblent ignorer qu’il y a beaucoup plus de réfugiés en Afrique et en Asie qu’en Europe occidentale et que les fauteurs de guerres ne sont pas les amoureux des ghettos mais les partisans souvent mafieux du profit maximum immédiat. Inventive dans la forme cette pièce nous a donc semblé peu intéressante quant au fond.
Après avoir découvert le nouveau spectacle des Baladins du Miroir, nous avons écouté le récital de textes de Léo Ferré dits par son ami Richard Martin comédien de grand talent, choisissant bien ses musiciens et créant chaque année depuis la disparition de Léo un spectacle d’hommage chaque fois différent. Il dresse ainsi une sorte d’anthologie de Ferré. Les textes propres à celui-ci – aux côtés de ceux des poètes qu’il choisissait – sont inégaux : parfois géniaux, parfois ratés. Quand ils sont très longs, ils méritent d’être lus car l’attention ne peut se maintenir lorsqu’images et idées se bousculent. Tout filon s’épuise peu à peu au fil de son exploitation. C’est une réalité à laquelle se heurte Richard Martin et qui rend ses choix plus difficiles aujourd’hui qu’hier.
Quant au George Dandin de Molère mis en scène et joué par Jean-Daniel Laval et produit par la Compagnie (française) de la Reine, il était loin d’atteindre la qualité des Femmes savantes très bien servies l’an dernier par les co-directeurs du Festival (Armand Delcampe pour la dramaturgie – en l’occurrence l’art d’alléger le texte pour le mieux servir – et la mise en scène et Cécile Van Snick pour une excellente interprétation dont la qualité avait été homogène au niveau de la douzaine de comédiens). Dans sa synthèse de présentation de Dandin, la Compagnie de la Reine conclut : Une comédie-ballet dont Molière a le secret. Le malheur c’est que cette fois ce secret Jean-Baptiste Poquelin l’a bien gardé. De ballet, il n’y en avait point. Pour le découvrir, J.-D. Laval aurait du passer par l’Opéra de Liège quand Jean-Louis Grinda et José Brouwers collaboraient au triomphe du Bourgeois gentilhomme des deux Jean-Baptiste (Lully et Molière) où le mariage de la musique et du texte interprétés par des artistes de talent pouvait justement célébrer le jubilé du Théâtre Arlequin.
L’apéritif servi à la (trop coûteuse) Guinguette du Casino par Christian Dalimier auteur metteur en scène et avec sa complice Pascale Vander Zypen, interprète d’un texte qu’il a intitulé Entre deux verres est amusant et comporte des observations et des réflexions qu’il faut bien avouer que nous avons parfois lorsque nous dialoguons avec une bonne bouteille. Un sourire et des bulles.
Le même soir, nous avons (enfin) pu nous rendre à une représentation de la pièce de Michael Frayn Démocratie. Une dizaine d’excellents acteurs (y compris dans de petits rôles confiés à de très grands comédiens tel Alexandre von Sivers qui incarne un libéral de 47 ans, l’âge du rôle compensant sans doute son orientation politique. Bien construite et suscitant une qualité d’écoute chez les moins de 50 ans significative de la curiosité qu’éveille une histoire ignorée celle du début des années 70 (si Brandt a démissionné en 1974, l’année précédente – le 11 Septembre – un autre Prix Nobel de la Paix Kissinger avait donné le feu vert à Pinochet pour bombarder la présidence de la république chilienne et provoquer la mort d’Allende ). Néanmoins le théâtre est simplificateur : présenter l’espion Gunther Guillaume comme un homme assez sympathique confirmant la confiance que l’Allemagne de l’Est pouvait accorder au Chancelier de celle de l’Ouest s’avère un peu trop idyllique : c’est tout le courrier de Brandt qui était transmis à Eric Honecker.
Le dernier jour après l’apéritif bilan de fin de matinée et une conversation impromptue mais longue avec Armand Delcampe sur un banc inconfortable du jardin du casino, nous avons revu (vingt ans après comme chez Dumas) V. Rimbaud (la mère d’Arthur, le poète, Mme Vitalie Cuif), texte de Françoise Lalande, adapté et mis en scène avec un fond musical de Jean-Sébastien Bach par Jacques Herbet, interprété par Marie-Claire Clausse. Nous avons (longuement) vieilli ensemble et nous ne sommes pas de grands vins dans une bonne cave…
Enfin, nous aurions mieux fait de choisir comme dernier spectacle 2012, le neveu de Rameau de Denis Diderot plutôt que l’adaptation de l’Ecume des jours de Boris Vian. Cette version d’un hymne à l’amour et à la musique nous a radicalement déçu : l’amour n’est ici que parodie et une telle musique qu’un « moyen coûteux de faire du bruit » pour reprendre la célèbre et injuste sentence de Léopold II.
Jean-Marie ROBERTI