L’ancêtre de la Sécurité sociale – la Caisse de prévoyance – est née à Ans.

 

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       À la fin du 12ème siècle, de la terre noire propre à faire du feu  fut trouvée dans beaucoup d’endroits de la Hesbaye. Cependant, l’exploitation en sous-sol s’impose. Elle se termine huit siècles plus tard en région liégeoise. Le droit minier liégeois est dominé par le principe qui possède le comble, possède le fond. Principal propriétaire des terres, l’Eglise concède des terrages à des comparchionniers.  Le pire ennemi des charbonniers est l’eau qui envahit les  mines. Certes, via les araines, Liège bénéficie d’eau potable mais trop de bures sont abandonnées faute d’exhaure. En 1582, le Prince-Évêque Ernest de Bavière proclame l’Édit de Conquête qui vise à sauver les fosses inondées (cfr Liège 28 6/12/2010 – Les Planchar, maître de fosses dans la Seigneurie de Montegnée).

       À la Révolution française, nombre de charbonniers liégeois ont pris la route de l’exil. La mise sous séquestre de leurs biens est décidée. La législation minière au Pays de Liège change. La loi Mirabeau décrète les mines sont à la disposition de la nation. La nation confie l’exploitation à des nouveaux capitaines d’entreprise, résolus, ambitieux, politiquement intrigants, formés techniquement (…)  le règne des « barons du charbon » comme le déplore Robert-Armand Planchar.

        Nous sommes le vendredi 28 février 1812. Comme d’habitude, au charbonnage Beaujonc – propriété de Lambert Colson et de Madame Hardy –  127 mineurs sont au travail, au niveau moins cent septante mètres. Parmi ces 127 mineurs, il y a un aveugle, Nicolas Riga, des enfants dont Mathieu Goffin, 12 ans, fils d’Hubert Goffin, fils lui aussi de mineur. Bien que la généalogie des pauvres ne va généralement pas au delà du grand-père, on trouve déjà un Goffin mineur à la fin du 16ème siècle.

        Il est 10h lorsque Mathieu Labeye, ouvrier chargeur au panier – cuffat  – aperçoit de l’eau tombant dans la bure. Prévenu le maître mineur Hubert Goffin réalise que l’eau provient d’une digue rompue près du puits Triquenotte, autre houillère propriété de la Compagnie Colson. Tandis que l’eau envahit la mine, Goffin bat le rappel de l’ensemble des ouvriers. Par trois fois, le panier réussit à remonter 35 mineurs. Goffin emmène les autres vers d’autres galeries supérieures. Comme seul outil,  leur pic. Rapidement privés de chandelles, ils cherchent une issue. Par ailleurs,  les secours extérieurs s’organisent. Le mercredi 4 mars, la jonction est établie via la houillère de Mamonster  Le bilan ; 105 mineurs sauvés, 22 noyés. Les catastrophes minières ne sont pas rares. Une centaine au Pays de Liège entre 1802 et 1813.

        Une enquête sur les causes de la catastrophe est menée sous la direction de l’ingénieur en chef au Corps impérial des Mines, Beaunier. Le 25 mars 1812, premier constat : imprévoyance due à l’habitude des dangers inhérents à la mine, négligence résultant de l’impunité, témérité inspirée par le désir de rendement à tout prix, insuffisance de la technicité dans les méthodes d’exploitation et dans les moyens de parer aux dangers.

        Avant même que les causes du drame ne soient établies, chacun et à fortiori l’Empereur Napoléon, les devine. Désireux de distinguer l’héroïsme de ce simple soldat du travail, l’Empereur lui décerna la croix de chevalier de la Légion d’honneur le 12 mars 1812. Cerise sur le gâteau, une pension à vie de 600 francs. Les mineurs Nicolas Bertrand, Mathieu Labeye, Melchior Clavir et Mathieu Goffin reçoivent une prime de 300 francs or. En outre, Mathieu est inscrit au Lycée impérial de Liège.

        L’Empereur ordonne au préfet de l’Ourthe, le baron Charles Micoud d’Umons de donner à la cérémonie de remise de la Légion d’honneur le luxe, le faste, la grandeur de l’Empire. La cérémonie se déroule le dimanche 22  mars à l’Hôtel de Ville de Liège. Les peintres Jacques-Charles Bordier du Bignon et Philippe-Auguste Hennequin ont immortalisé ce moment où le premier ouvrier reçoit la Légion d’honneur.

        Ulcéré par le comportement des barons du charbon, Charles Micoud d’Umons s’en est plaint à l’Empereur lors de son passage à Liège en 1811, les propriétaires ne comptant pour rien la vie de leurs ouvriers. La catastrophe du charbonnage Beaujonc lui permet de revenir sur le sujet. En juillet 1812, il soumet au ministre de l’Intérieur, Camille de Montalivet un projet de caisse permanente de secours. Cette caisse est alimentée par une très légère retenue sur les salaires. Au lendemain de la bataille de Buntzlau, le 26 mai 1813,  Napoléon signe le décret  instituant la Caisse de prévoyance en faveur des ouvriers houilleurs du département de l’Ourthe.

           Ancêtre de la Sécurité sociale, la Caisse de prévoyance est installée le 15 juillet 1813 à l’Hôtel de Ville de Liège. Les propriétaires des mines contribuent à hauteur d’un demi pour cent de la masse salariale de leurs ouvriers et employés. Ceux-ci à hauteur de deux pour cent.

      L’administration de la Caisse de prévoyance est gratuite. Font partie de droit du Conseil d’administration  1o le préfet du département ; 2o l’évêque diocésain ; 3o le procureur impérial près le tribunal de première instance ; 4o le maire de la ville de Liège ; 5o l’ingénieur en chef des mines. Cinq autres administrateurs sont élus annuellement ;  un parmi les propriétaires des grandes exploitations, un parmi les directeurs de fosses, deux parmi les maîtres mineurs, et un parmi les ouvriers houilleurs.

        Sous le régime hollandais, la Caisse de Prévoyance est suspendue. La Belgique indépendante la rétablit en 1837. L’année centenaire de la catastrophe voit l’érection, à Ans, d’un monument en hommage à Hubert et Mathieu Goffin, œuvre du sculpteur liégeois Oscar Berchmans.

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