Lors de ce 52ème Festival Royal de Théâtre de Spa, mon épouse et moi avons convenu d’assister, lors de quatre des douze soirées, à huit des vingt-huit spectacles. Ce jeudi 11 août , nous avons passé une excellente deuxième soirée, non seulement parce que nous étions agréablement accompagnés par deux journalistes era (en retraite active) dont l’initiateur de ce blogue qui nous accorde une occasionnelle hospitalité annuelle mais aussi parce que nous avons retrouvé l’ironie sarcastique et assez souvent jubilatoire qui reste celle de notre ancien condisciple (principalement à l’Athénée alors non mixte de Liège I , rue des Clarisses). Et nous donnons cette précision d’emblée par souci d’honnêteté mais en ajoutant que cela n’a nullement suscité de ma part la moindre complaisance.
Dans la Guinguette du Casino, nous avons consommé, comme apéritif, ce qui, dans le passé, sous l’appellation de Cabaret-Théâtre devenait, en fin de soirée, un pousse-café. Alors les textes de Tardieu, Ionesco, Obaldia, Audiberti, Pierre Dac, Francis Blanche… accompagnés de chansons de préférence irrévérencieuses animèrent des spectacles de minuit (débutant à 23 heures) et animés par les plus drôles comédiens de la troupe du National, souvent montés de la cave liégeoise de l’Étuve tels les grands (par le talent) Anne Marev et Jo Rensonnet qui signa encore pour Armand Delcampe, en 1999 et déjà dans une Guinguette, une création intitulée : Pas de titre, ça coûte trop cher .
Mais venons en au spectacle écrit et interprété par une Liégeoise, prof’ de français au Collège de Hannut, Véronique Gallo. Que cette production du Théâtre Bulle ait été pétillante, quoi de plus normal. Par contre je démens que la lettre i manque en fin du titre de la pièce : Mes nuits sans Robert. Le Robert en question est l’acteur Robert Redford qui avec les grands films d’amour du cinéma américain envahit l’imaginaire d’une célibataire trentenaire. Ce one woman show à la sauce U.S. est gentiment humoristique, l’interprétation ne manque pas de rythme, interpelle le public d’une salle à nouveau comble et après On ne me l’avait pas dit procure à Véronique Gallo un nouveau succès d’estime.
Avec La seconde vie d’Abram Potz de Foulek Ringelheim, on change de niveau. Cette production du Théâtre du Méridien constitue une œuvre qui pourrait être montée par les scènes les plus prestigieuses du monde théâtral sans apparaître comme mineure. Et cela grâce à la très heureuse conjonction de trois talents exceptionnels : d’abord bien entendu celui de l’auteur qui, après s’être affirmé comme un grand juriste, s’est révélé un romancier dépeignant avec acuité ce qu’il a le mieux observé : les mœurs judiciaires (Le Juge Goth) et chez un intellectuel juif, le délabrement physique et mental entraîné par la vieillesse.
Cela, cet ancien membre du Conseil supérieur de la Justice, l’a imaginé avec cette férocité sarcastique, cette espèce de cruauté jubilatoire, cette malice qui déjà, au milieu des années 1950 nous le rendait sympathique et qui, cinquante ans plus tard, peut toujours séduire les jeunes puisque certains de leurs délégués ont attribué à son roman le Prix 2005 des Lycéens
Depuis La seconde vie… en est à sa quatrième édition et a été lue par la directrice du Théâtre du Méridien : Catherine Brutout. Celle-ci, comédienne, metteuse en scène, scénographe et, en outre, cette fois co-responsable de la Création son, a adapté à la scène avec Foulek Ringelheim, le roman de ce dernier. Quelle symbiose parfaite : en rentrant du spectacle, j’ai lu des pages du roman : le théâtre leur rendait vie.
Enfin, parlons du docteur Abram Potz qui est totalement incarné pendant 80 minutes par un comédien d’exception , seul sur scène, Freddy Sicx qui fut pour moi une révélation. Il ne joue pas, il est Abram ce misanthrope aigri, ce vieillard par moment terriblement lucide mais atteint par des défaillances de plus en plus fréquentes de sa santé physique et mentale, méchant, injuste mais impitoyable et ironique dénonciateur des ignominies et attirant donc par éclipses la sympathie.
Quel plaisir de constater que l’esprit que manifestait Foulek Ringelheim durant sa jeunesse est resté une réalité vivante. Ce docteur en droit de l’Université de Liège (et criminologue U.L.Biste) a des racines multiples. Les juives sont certes profondes mais sans avoir diminué son engagement en faveur de la laïcité. Et, comme nous, il doit apprécier une phrase gravée sur une façade latérale de la Cité administrative municipale et émanant du Chancelier de France, Premier Ministre du roi François Ier, Michel de L’Hospital qui écrivait en 1558 : Les Liégeois ont été plus que tous les ans domptés, néanmoins ils ont toujours relevé leurs crestes.
Avoir été jeune à Liège, pour un romancier philosophe c’est avoir été vacciné par un virus qu’il est inutile d’essayer d’éradiquer : celui des libertés.
Jean-Marie ROBERTI.
N.B. La – délectable et effroyable – Seconde vie d’Abram Potz, créée en juin 2009 par le Théâtre du Méridien, sera reprise dans le cadre de la saison de l’Atelier Théâtre Jean Vilar à Louvain-la-Neuve au Théâtre Blocry chaque soir du mardi 25 au dimanche 30 octobre prochain à 20 h 30’ (sauf le jeudi à 14 h 30 – en matinée scolaire – et à19 h 30’).