Il y a plus de trois-quarts de siècle, Abel Lurkin a publié aux Éditions Saint-Hubert de Vervoz, Mœurs des condruses. Un merveilleux roman, remarquable description de la société condruse des années trente par un des siens. Aujourd’hui, un autre Condruse, journaliste comme Abel Lurkin mais natif de Bonsin, Charly Dodet publie aux Éditions Persée d’Aix-en-Provence, Le verger (1). Une remarquable description de la société condruse en ces années de début du XXIe siècle par un des siens.
Comme le note notre confrère Charly Dodet, le Condroz est une région typique. (…) Le Condroz a peu évolué, à l’écart des grands axes et des villes moyennes. Et les petits villages, loin de mourir (…) conservent jalousement leurs traditions et leurs bâtisses du XVIIIe siècle transmises religieusement de génération en générations. À son rythme, la région vit, imperturbablement. Mais à son rythme…
Différence entre le Condroz de Lurkin et celui de Dodet, la création, en 1973, de la race bovine bleu blanc belge. Mais, les villages n’ont guère varié, celui de Dodet est un petit village du Condroz comme il y en a tant. Un beau village, sans doute, quand il y a un brin de soleil. Derrière un rideau de haies, on voit d’abord apparaître un ensemble de toits gris lourdement posés sur d’épaisses murailles en pierre grise, blottis dans un repli du paysage, comme une citadelle.
Autre différence entre le Condroz de Lurkin et celui de Dodet. Au temps des Lurkin – outre Abel, il y a son frère Jean écrivain et régisseur des domaines du baron de Tornaco – les villages sont encore des villages avec leurs notables, les fermiers où chaque mois prête à la terre un visage nouveau, un autre habit, une voix différente au gré de la roue éternelle,(…) Et tous ces mois ont une odeur à eux. À présent, comme il est écrit en page quatre de couverture du Verger de Charly Dodet, ces villages se sont métamorphosés en petits villages-dortoirs parmi des retraités aigris, des marginaux excentriques et des navetteurs préoccupés par leur propre train-train.
Dodet et les frères Lurkin ont en commun de connaître le Condroz et ses habitants. Ce sont des écrivains ruraux à même de discerner juste, les secrets les plus intimes des personnages mis en scène. Plus de quarante ans de journalisme à Vers l’Avenir – à présent L’Avenir, filiale du groupe flamand Corelio – quotidien dirigé par le baron Philippe de Thysebaert, consacrés à vivre le Condroz et le faire revivre auprès de ses lecteurs, Charly Dodet peut se réclamer de la phrase inscrite au fronton de la maison des Lurkin, ce n’est pas aux souliers seulement que j’ai de la terre wallonne, j’en suis crotté jusqu’à la nuque.
Quelques extraits du Verger, un roman traduisant la solitude, la solidarité, la suspicion, le secret, le silence d’un petit village du Condroz comme il y en a tant. Tout d’abord, le curé : L’abbé Calibert a beau offrir un visage souriant (…) c’est pourtant un homme plus compliqué qu’il ne paraît au premier regard. Il est calculateur. (…) Mauvais perdant, il ne lâche pas facilement prise et peut déborder de ruses et d’énergie pour contrer un adversaire. Autre extrait portant sur deux voisines : Virginie est très occupée par son commerce. Olga, qui est à son travail la journée, n’a guère l’habitude de se mêler aux gens du village, même lors des fêtes. Sans déflorer Le Verger, un dernier extrait : Laissez ma fille en dehors de cela, coupe Olga. Elle est jeune, elle ne connaît personne dans le village. La journée est au lycée, et, le soir, ici avec moi. Un roman tout en finesse, à lire sur la plage ou sur une chaise-longue dans Le Verger.
(1) Le Verger – Charly Dodet – 195 pages – 17 € 50 – Également disponible en version e-livre aux Éditions Persée www.editions-persee.fr