En 1195, de la terre noire propre à faire du feu fut trouvée dans beaucoup d’endroits de la Hesbaye. Durant huit siècles, à Liège, le charbon a lentement forgé notre manière d’être, de penser, notre comportement, notre réputation, tièsses di hôye. Fort de cette conviction, l’ancien directeur général du Port autonome de Liège, Robert-Armand Planchar vient de publier aux Éditions Céfal Les Planchar, maîtres de fosses dans la Seigneurie de Montegnée. Son arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père, bref son aïeul n’est autre que Jean-le-vieux Planchâ, premier Planchâ recensé avec certitude, qui, au 16ème siècle, creuse des bures, gratte, creuse et fait creuser. Auparavant, dès 1419, il est question d’un certain Planchâ mais le lien de parenté n’est pas établi avec les Planchâ, les Planchez, les Planchar, les de Planchar, quatre noms successifs pour une même famille.
La lignée des sept charbonniers Planchar apparaît sous le Prince-Évêque Ernest de Bavière qui promulgue, en 1582, l’Édit de Conquête visant à sauver les fosses inondées, un édit dont profiteront les Planchar. Féru de sciences, Ernest de Bavière s’intéresse au domaine minier. Il faut savoir qu’en droit liégeois, qui possède le comble, possède le fond, Il est même stipulé que le propriétaire foncier est seigneur des mines jusqu’au centre de la terre. Le principal propriétaire est l’Église qui lève des rentes, des terrages sur les houillères qu’elle concède. D’où la tentation pour les charbonniers d’entretenir une duplicité fructueuse au plan minier avec les bons métiers et l’Église.
Jean-le-vieux Planchâ a un fils Lambert-le-vieux que sa veuve émancipe à l’âge de 18 ans. Les Planchar ne sont pas grand-chose à l’époque, mais ils creusent, creusent encore et deviennent lentement d’honnêtes comparchonniers, puis des artisans maîtres de fosses, de gros commerçants aussi…(…) Lambert-le-vieux, durant sa vie intéressera son seul fils, Jean-le-jeune, aux bures, aux parchons, aux araines.
Jean-le-jeune a six enfants, trois garçons, trois filles le choix du Roi. Si trois enfants se consacrent à Dieu, les autres dont Pier Planchar font un mariage d’accession. (…) Cet aîné va connaître une ascension sociale extraordinaire ; il se fera entrepreneur de travaux publics, carrier, exploitant agricole, bailleur de fonds, repreneur de dîme, marchand, transporteur, brasseur, propriétaire immobilier, et avant tout, un des plus grands, sinon le plus grand, « maître de fosses » de l’Ancien Régime en Seigneurie de Montegnée. Un maître de fosse confronté à trois problèmes majeurs ; le système capitaliste de son époque, les conflits souterrains et l’eau. Pier meurt à 80 ans, le 12 juillet 1737.
De l’abondante progéniture de Pier – dix enfants – deux, Pierre et Lambert, deviennent maîtres de fosses. Mais l’exhaure demeure leur problème. La solution vient de l’Angleterre. En 1705, Newcomenen proposa alors une « machine à balancier » utilisant cette fois la théorie de la pression atmosphérique de Pascal. C’est l’apparition de la pompe à feu. Si les débuts sont laborieux, ceci n’empêche pas Lambert Planchar de s’y intéresser dès 1720. Il installe sa première pompe à feu à l’Espérance-delle Paix-Sartay en 1738. Il renonce à l’expérience en 1748 alors que son fils Pierre-Lambert à deux ans. Il renonce sans abandonner l’idée. En 1772, sous la conduite de son fils, il fait édifier une pompe à feu nouvelle génération à l’Espérance puis aux Bons-Buveurs. Au total, investissement important des Planchar, quatre pompes à feu sont installées à Montegnée.
Sous l’impulsion de Pierre-Lambert, ces entreprises prospèrent. Conséquence inattendue, l’eau alimentaire provenant des mines Planchar et arrivant, jusqu’en 1770, place du Marché par l’araine de la Cité fait défaut. Un procès s’ensuit. La Cour des Échevins, en 1779, opte résolument pour l’alimentation en eau de la population citaine contre les intérêts des houillères montagnardes. Pierre-Lambert se pourvoit en appel devant la Cour de Wetzlaer qui lui donne raison. Du coup, il poursuit en justice les Échevins.
La Révolution survient. La loi Mirabeau décrète les mines sont à la disposition de la nation. Récemment anobli, Pierre-Lambert se émigre avec sa femme et ses neuf enfants à Francfort. Ses biens sont mis sous séquestre. À son retour, il constate que son neveu Lambert-Joseph Despa s’est rangé du côté des révolutionnaires et l’a ruiné. S’appeler Planchar, à l’époque, était vraiment mal vu. Le fils de Pierre-Lambert, Jean-Nicolas-Servais s’engage dans un régiment autrichien, un des Régiments Nationaux Wallons. Revenu au pays, J-N-S est victime avec ses jeunes frères d’une captation d’héritage orchestrée par ses tantes dont Marie-Catherine-Agnès, mère de Lambert-Joseph Despa, maîtresse du Chanoine Brocal qui fait partie de ces gens d’église, fléaux des familles, auteurs de la discorde, leur premier élément et dans lequel ils semblent se complaire. Jean-Nicolas-Servais devient rentier, pour lui, le charbon, c’est fini et l’aventure des maîtres de fosses Planchar se termine donc ici. Désormais, au 19ème et au 20ème siècle, ce sont des nouveaux capitaines d’entreprise, résolus, ambitieux, politiquement intrigants, formés techniquement, risqueurs, qui vont se lancer. (…) le règne des « barons du charbon ».
L’auteur Robert-Armand Planchar – excellent conteur de surcroît – donne deux conférences cette semaine sur le thème de son livre. Aux Archives du Royaume, rue du Chéra, mardi 7 à 17h et à l’Université du Troisième âge, au Marché couvert, jeudi 9 à 14h.