À la tribune de l’Association des Liégeois travaillant à Bruxelles (ALTB), le Ministre d’État, Philippe Monfils, a assuré que Paul Le Poulpe est mort d’émotion le jour où on lui a demandé si la Belgique avait encore un destin. Pareil effet de surprise ne risque pas de terrasser les wallons et francophones de Bruxelles car le blocage d’aujourd’hui est tout sauf étonnant et imprévisible.
Laissant de côté l’actualité immédiate et sans remonter à 1830, le Ministre d’État constate qu’en 1932, une revendication flamande crée les régions linguistique et instaure le bilinguisme à Bruxelles. Un peu plus tard, l’affaire royale, la guerre scolaire montrent déjà un fossé entre les communautés comme les grandes grèves de 60-61 (…) Et puis, les lois linguistiques de 62-63 fixent les frontières linguistiques et déjà les flamands réclament l’homogénéité de leur région (…) Et l’histoire s’accélère (…) les revendications flamandes deviennent de plus en plus précises avec pour objectif une plus grande autonomie dans tous les secteurs.
Ministre d’État, le Liégeois Philippe Monfils remarque que à chaque fois, la réaction francophone est la même : « ouf, on s’en est sorti, on n’a pas donné aux flamands tout ce qu’ils demandaient mais simplement une partie. On est tranquille pour quelques temps » (…) Bref, du coup par coup, sans jamais s’interroger sur les motifs qu’avaient les flamands de revendiquer tous les cinq ans, telle nouvelle compétence, telle nouvelle avancée. Eux, par contre ont depuis le début, le sens de l’histoire, de leur histoire, de leur destin (…) Ils ont engrangés succès sur succès depuis plus de cinquante ans et puis, un jour, ils ont décidé de cesser le jeu des petits accords successifs pour faire un bond plus substantiel vers l’autonomie.
Faut-il voir dans ce changement de stratégie, la marque d’un Bart De Wever que la presse et l’opinion francophone diabolise au maximum ? Oh, que nenni ! Ce n’est pas Mr De Wever qui est la cause de ce changement de stratégie : De Wever n’est que l’instrument d’une volonté qui s’est concrétisée en 1999 dans l’accord institutionnel voté par tous les flamands et définissant leurs revendications. Si le porteur de cette revendication n’avait pas été De Wever, cela aurait pu être Leterme (rappelons-nous ses 800.000 voix en réaction à sa position extrême) ou d’autres encore, peut-être plus jeunes au CD&V, au VLD… Bref, ce n’est pas l’homme qui a créé l’événement mais bien la stratégie flamande qui a façonné l’homme capable de faire sauter cette douce quiétude engendrée par les accords successifs, synonymes d’ailleurs d’autant de renoncements successifs des francophones.
À ce moment de l’histoire, il est temps de s’écrier – non pas un traditionnel « que fait la police ? » – mais un banal que font les francophones ? Et nous face à cette volonté ? Nous, rien ! Notre stratégie a consisté à essayer de ne pas donner aux flamands tout ce qu’ils réclamaient dans chaque négociation. Et de ce que l’on sait des discussions récentes, on se contente de dire : « non pas jusque là, pas comme ça… » comme une jeune fille rougissante qui dit non au viol et accepte toutefois des privautés croissantes sur son anatomie.
Après avoir souhaité que les francophones abandonnent leur posture de défense pour passer à l’attaque, le Ministre d’État pose la question Faut-il avoir peur du blocage ? (…) il faut ouvrir les yeux. La Belgique n’est plus un État fédéral. Elle glisse de plus en plus vers le confédéralisme (…) mais insidieusement. Et de citer nombre d’exemples probants. Tout cela m’amène à considérer que la bonne attitude, ce n’est pas toujours de céder quelque chose par peur d’un risque de séparation mais d’indiquer clairement ce que l’on veut encore ensemble. C’est l’application du fameux article 35 de la Constitution. Pour mémoire, cet article stipule notamment : « L’autorité fédérale n’a de compétences que dans les matières que lui attribuent formellement la Constitution et les lois portées en vertu de la Constitution même. Les communautés ou les régions, chacune pour ce qui la concerne, sont compétentes pour les autres matières, dans les conditions et selon les modalités fixées par la loi ».
En conclusion, Philippe Monfils de rappeler un exposé sur le système fédéral belge qu’il fit, à Rabat, en 2006. Il y évoquait, à l’époque, le débat sur la volonté de vivre ensemble et se hasardait à quelque prophétie du type si jamais on nous forçait à accepter le combat ultime, il faudrait envisager toutes les hypothèses, même les plus extrêmes. Aujourd’hui, le Ministre d’État constate : … l’accélération de notre histoire institutionnelle supprime de cette phrase un éventuel caractère prophétique, elle lui rend simplement son immédiate actualité.